Après concerts et répétitions sur fond de manifestations contre la guerre à Gaza, le concours Eurovision de la chanson va faire vibrer Malmö, où les représentants de 26 pays se mesureront samedi pour succéder à la Suède.
La Croatie, la Suisse et l’Ukraine sont favorites de cette grande messe annuelle du kitsch, suivie en 2023 par 162 millions de personnes.
Côté pile : la Malmö Arena, où tout n’est que néons, costumes scintillants et rythmes entraînants. Côté face : le ballet incessant de policiers lourdement armés en patrouilles.
À travers la ville, pompons et fanions aux couleurs acidulées côtoient les drapeaux palestiniens pendus à des fenêtres.
Jeudi, plus de 5.000 personnes ont défilé dans le calme dans la grande artère piétonne pour protester contre la participation d’Israël, dont la candidate, Eden Golan, devait tenter dans la soirée de se placer pour la finale, a constaté une équipe.
« Cette année, on boycotte complétement », confiait Cecilia Brudell, 31 ans, dans la foule, où figurait aussi la militante pour le climat, Greta Thunberg.
Dans la Malmö Arena, l’organisation a, comme à l’accoutumée, interdit tout drapeau autre que ceux des participants et toute bannière à message politique.
L’an dernier, l’Union européenne de radio-télévision (UER), qui chapeaute le concours, avait interdit au président ukrainien Volodymyr Zelensky de s’y exprimer.
Mais la neutralité de la plateforme a été bousculée mardi, lors de la première demi-finale, par le chanteur suédois Eric Saade qui portait un keffieh autour du bras.
Un geste regretté par l’UER et la télévision publique suédoise SVT, qui revendiquent le caractère apolitique de ce rendez-vous populaire.
« C’est un monde à part entière (…) très joyeux et coloré, un monde dans lequel je me sens en sécurité », confie Nemo, artiste suisse non-binaire.
Pour les fans – la ville attend jusqu’à 100.000 visiteurs -, « c’est ce qui est sur scène qui est important : les contributions, les artistes et la musique, et non la politique », insiste le professeur d’histoire des idées, Andreas Önnerfors, spécialiste de l’Eurovision.
Presque septuagénaire, l’Eurovision est « une démonstration de la tolérance européenne que l’on ne trouve pas sous d’autres formes ni dans d’autres lieux », souligne-t-il.
« La politique est partout »
Toutefois, pour les artistes ukrainiennes, « la politique est partout ».
Cette année, le conflit en Ukraine a été éclipsé par la guerre à Gaza, déclenchée le 7 octobre quand des commandos du Hamas ont mené une attaque contre Israël qui a fait plus de 1.170 morts, majoritairement des civils, selon un bilan établi à partir de données officielles israéliennes.
Plus de 250 personnes ont été enlevées et 128 restent captives à Gaza, dont 36 seraient mortes, selon l’armée.
En riposte, l’armée israélienne a lancé une offensive à Gaza, qui a fait jusqu’à présent 34.844 morts, en majorité des civils, selon le ministère de la Santé du Hamas.
« Il doit y avoir des manifestations, les gens doivent exprimer leurs opinions, les gens doivent boycotter », assure Magnus Børmark, candidat pour la Norvège avec son groupe Gåte, qui, comme huit autres participants, ont publiquement appelé à un cessez-le-feu durable.
Les représentants de certains pays avaient un temps envisagé de boycotter le concours pour protester contre la présence d’Israël, mais n’ont pas donné suite.
« Les premiers jours de la semaine de l’Eurovision ont été calmes. Nous enquêtons sur un cas d’incitation présumée à la haine raciale », relève un porte-parole de la police, Jimmy Modin.
Alors que la Suède a relevé l’an dernier son niveau d’alerte après des actes de profanation du Coran, « on ne peut évidemment jamais exclure la possibilité que quelque chose se produise, mais il n’y a pas de menace dirigée contre l’Eurovision », insiste-t-il.
Des renforts policiers sont venus de toute la Suède, mais aussi du Danemark et de la Norvège.
Au sein de la communauté juive, certains comptent quitter la ville pour le week-end.
« Avec l’Eurovision, il y a comme une intensification. Le sentiment d’insécurité s’est accru après le 7 octobre, de nombreux juifs sont inquiets », explique un porte-parole, Fredrik Sieradzki.
« Je ne peux pas vraiment me réjouir de l’Eurovision, même si sur le principe, nous pensons, en tant que congrégation, qu’il est bon que tout le monde soit le bienvenu ici à Malmö, y compris Israël », résume-t-il. « Mais nous préférions que ça ne nous expose pas à quoi que ce soit ».
D’après lui, les nombreuses manifestations propalestiniennes n’ont toutefois pas donné lieu à des appels visant les juifs de la ville.
La sécurité autour de la synagogue a tout de même été renforcée.
Sur les réseaux sociaux, des menaces ont été proférées contre Eden Golan, qui entrera en piste pour la deuxième demi-finale programmée à 19 h.
Des militants doivent organiser au même moment une Falastinvision, compétition musicale en solidarité avec les Palestiniens.