Des gants de Grace Kelly à ceux de l’armée, de la prospérité au dépôt de bilan, la ganterie Maison Fabre, à Millau, dans le sud-ouest de la France, a tout connu en cent ans d’une existence tumultueuse qu’elle célèbre cette année.
«Ce métier, toute ma vie, j’ai trempé dedans» : œil espiègle et verbe facile, Louis Fabre, 83 ans, ne cache pas sa fierté de voir ses fils, Olivier, 51 ans, et Jean-Marc, 58 ans, poursuivre la saga débutée en 1924 par leur arrière-grand-père, Étienne.
«J’ai tout cédé aux enfants. Je me suis fait engueuler par ma femme qui m’a dit : « Tu leur as filé une affaire quand même dangereuse. » Je lui ai répondu : « Si ça leur plaît, ils vont continuer. » Et ça leur plaît, je le vois bien.»
Maintenir en vie cette entreprise n’a pas été simple et demeure, un siècle après sa création, un «équilibre fragile», explique Olivier, au cœur de l’atelier situé au centre-ville de Millau, dans l’Aveyron. «On a juste gardé 200 m2 de cette manufacture qui a accueilli jusqu’à 350 personnes», souligne-t-il. Le reste de l’usine a été divisé en appartements.
Jusqu’aux années 1960, Millau, réputée capitale du gant et du cuir, en raison de sa tradition d’élevage d’agneaux, y a compté jusqu’à 80 entreprises dédiées. Il n’en reste plus que cinq, dont la Maison Fabre, la plus ancienne. Le secteur n’a pas résisté à l’abandon progressif du port du gant, couplé à la concurrence d’autres pays, Chine en tête.
Maison Fabre aussi a failli disparaître. En 1995, elle perd le marché de l’armée, pour laquelle elle fabriquait plus de 160 000 paires de gants par an. Résultat : dépôt de bilan «en un mois», se souvient le père. Mais l’entreprise se relance quelques mois plus tard et, sous l’impulsion d’Olivier, privilégie le positionnement haut de gamme.
Un gant Fabre, aujourd’hui façonné dans de la peau d’agneau métis éthiopien, «Rolls-Royce» du cuir en raison de sa souplesse et sa solidité, c’est «entre 120 et 350 euros, ça tient une vie. Nous les réparons et les entretenons», précise-t-il.
«L’ADN de la maison, c’est la couleur», héritage de Rose, la mère de Louis Fabre, qui a dirigé la maison après-guerre, «et la qualité, le sens du détail, la simplicité de la ligne», ajoute Olivier. Connue pour avoir façonné les gants du mariage de Grace Kelly et ses créations pour le cinéma et la mode, Maison Fabre a renoué avec cet esprit pour habiller les mains de stars comme Beyoncé; la superstar commande régulièrement des paires qui s’intègrent aux tenues qu’elle porte sur scène ou sur les tapis rouges.
Aujourd’hui, une dizaine de maîtres-gantières produit environ 5 000 paires par an sur des machines patinées par le temps. Jacqueline Solanet, 80 ans, dont 55 ans de maison, sourit en doublant de soie un modèle imprimé léopard : «Il y a eu des hauts et des bas. Maintenant ça marche bien, que cela continue comme ça!»
Les frères Fabre travaillent à assurer cette pérennité, Olivier du côté des collections et de la communication, et Jean-Marc à la production et à la gestion. «Je sais tout ce qu’il fait et il sait tout ce que je fais. Chacun est dans sa voie et c’est pour ça que l’on s’est toujours bien entendu», souligne l’aîné.
«On va vers une meilleure santé parce qu’on arrive à se démarquer, à attirer de nouveaux clients», dit le second. Ainsi, Maison Fabre s’intéresse désormais au gant sportif – 45 disciplines en utilisent – et vient de façonner un gant d’escrime dont la qualité a séduit de fines lames de l’équipe américaine pour les prochains Jeux olympiques de Paris.
Le cadet des frères Fabre espère plus largement redonner un avenir à toute la filière aveyronnaise du gant et du cuir, en faisant inscrire ses métiers au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
Une démarche qui va de pair avec le rêve de créer à Millau un pôle de formation professionnelle, «vivier» de compétences pour se projeter dans le prochain siècle d’histoire du gant dans la cité.