Elle joue depuis 2022 dans différentes productions et côtoie le gratin de la scène lyrique américaine : l’ânesse Wanda est une nouvelle fois l’attraction du Metropolitan Opera. Ce qui exige certaines dispositions bien particulières. Visite en coulisses.
Dans les rues de Manhattan, la circulation s’interrompt soudainement pour laisser passer la diva, qui se dirige entourée de ses assistants vers les coulisses de l’opéra où elle doit interpréter le rôle qu’elle perfectionne depuis déjà plusieurs années. «Tu vas assurer, Wanda!», lance sur son passage un responsable du Metropolitan Opera de New York. Avant que le spectacle ne commence, la vedette a le droit à sa pédicure de routine pour nettoyer foin et autres débris ayant pu s’accumuler sous ses sabots. Car Wanda est… une ânesse.
Avec ses poils gris ébouriffés, l’équidé s’est fait un nom à l’opéra de New York, où elle joue depuis 2022 dans des productions classiques. Dans l’acte II de La Bohème, un opéra italien offrant un portrait populaire et déchirant du Paris du XIXe siècle, Wanda se produit ainsi aux côtés de centaines d’artistes. Dans une scène grouillante de marché, l’ânesse, vêtue d’un collier de froufrous et d’un éclatant chapeau tire la charrette bariolé du vendeur de jouets Parpignol, accompagnée de dresseurs également costumés.
Mais avant cette performance, elle patiente en coulisses telle une professionnelle aux côtés de son collègue Max, un élégant cheval à la robe baie qui participe également à cet opéra de Giacomo Puccini. Si l’étalon en profite généralement pour faire une sieste, selon sa dresseuse Angelina Borello, Wanda reçoit elle des visites, dont celles de Gregory Warren, qui joue Parpignol. Arborant un maquillage de clown élaboré, l’acteur la tapote affectueusement pour la rassurer. «Elle est très cool!», assure-t-il, disant aimer travailler à ses côtés. «Cela ajoute une certaine énergie», ajoute-t-il.
Tu vas assurer, Wanda!
Wanda a commencé sa carrière à l’opéra de New York après que son prédécesseur, Sir Gabriel, a pris sa retraite dans une ferme du Maryland. Quand elle est programmée pour plusieurs rôles successifs, Wanda vit dans des écuries du Bronx afin de minimiser son temps de trajet, mais passe autrement le reste de son temps dans le nord de l’État de New York. En plus de l’opéra, elle a participé aux processions du dimanche des Rameaux à Manhattan. «Elle est fabuleuse!», s’exclame Nancy Novograd, propriétaire de l’agence All Tame Animals qui représente plusieurs animaux stars dont Wanda.
Pour jouer au théâtre, à la télévision ou au cinéma, ces derniers doivent avoir des qualités similaires à celles des acteurs humains, affirme-t-elle. «Ce que je recherche, c’est la confiance. Je cherche un animal capable d’entrer dans un environnement inhabituel et de maintenir sa concentration», explique-t-elle. Pour la régisseuse Hester Warren-Steijn, travailler avec des animaux vivants nécessite de s’assurer «qu’ils soient bien traités» et «pris en charge». Mais pas que. L’ensemble relève en effet d’une chorégraphie complexe, assure-t-elle, avec la nécessité d’un plan B à tout moment. En cas par exemple d’allergie aux poils équins, les chanteurs d’opéra restent à distance pour protéger leur voix, détaille-t-elle.
L’implication d’animaux dans les spectacles vivants est pourtant dénoncée depuis plusieurs années par des associations de défense des animaux, notamment en Europe. La branche allemande de l’organisation PETA a ainsi convaincu en 2022 l’opéra de Berlin de cesser d’utiliser des cochons d’Inde dans des représentations de l’opéra L’Anneau du Nibelung de Richard Wagner. Une possibilité qu’écarte Hester Warren-Steijn, pour qui Wanda et Max font partie de la grandeur même de l’opéra de New York. «Les gens veulent le voir», assure-t-elle.
Nancy Novograd reconnaît toutefois que certains animaux ne sont simplement pas faits pour la scène, mais assure réussir à le voir très vite. Quand «c’est trop pour eux, ils ne devraient pas travailler», tranche la professionnelle. Mais pour d’autres, comme Wanda, «c’est quelque chose de différent, de stimulant», assure-t-elle. «Ils peuvent être avec les gens qu’ils aiment. Ils voient des choses nouvelles et différentes». Comme ses collègues humains, l’ânesse fait l’objet d’un traitement de faveur. Une fois sa représentation finie, place à la collation. Mais en lieu et place des petits fours, ce sont plutôt des bonbons à la menthe qui lui sont fournis. Ces friandises sont néanmoins réservées à la fin de la soirée, sinon «elle en réclamerait sans cesse» sur scène, sourit Nancy Novograd.