Située à la cime du pays, à Huldange, Bois Brever est une histoire familiale. Et la relève est assurée. Car Corinne, 32 ans, refuse de se couper de ses racines.
Si la scierie Brever était un arbre, une coupe dans le tronc révèlerait 69 cernes. Le plus ancien remonte à 1947 : «Mon grand-père a lancé cette scierie, car après la guerre les besoins en bois de construction étaient importants. C’était une petite scierie. Avec ses frères, il faisait du travail d’abattage et de débardage avec les chevaux, et ma grand-mère gérait l’administratif. Ensuite, ses deux fils ont repris la scierie, dont mon père, en 1986. Et moi je suis la suivante», sourit Corinne Brever.
Un nom, trois générations. La scierie Brever est une de ces entreprises familiales qui ont su résister à la transformation radicale du pays. «Je n’ai pas encore toutes les parts de la société, mon père va prendre sa pension. Et après, ça sera à moi de continuer.»
Parce qu’elle l’a toujours voulu : «Ici, c’est la maison familiale (NDLR : elle se trouve dans la scierie). Donc j’ai grandi dans ce milieu. Je suis une personne un peu, disons, traditionnelle, je ne voulais pas que notre scierie s’arrête.» À 24 ans, après des études de business management à l’étranger, elle revient donc poser ses bagages à Huldange. Définitivement : «Mon père m’a appris tout ce que j’avais à apprendre : vendre le bois, le scier, utiliser les machines…» Son père, Carlo, passe justement par là. On lui propose de se joindre à nous : «Oh, elle sait déjà tout ce que je sais… enfin, sauf quelques petits détails. Il faut que je garde quelques billes !», rigole-t-il.
Pénurie de Luxembourgeois
Et le fait d’être une femme dans un secteur masculin ? «Aucun souci. Ils me connaissent depuis que je suis toute petite, ils savent que je suis sérieuse. C’est très amical ici, il y a 35 employés, et personne ne se vouvoie.»
Et très peu sont luxembourgeois : «Ils viennent de Belgique. Seuls mon père, moi et la secrétaire sommes luxembourgeois. Avant, la scierie apportait de l’emploi local, mais aujourd’hui, c’est très difficile de trouver des Luxembourgeois pour faire ce genre de métier, par manque d’intérêt ou de compétences… Même si on propose des métiers pointus et assez biens payés. »
Il n’y a pas que les employés qui sont étrangers : «On coupe 45 000 m3 de bois par an, dont 75% vient des Ardennes belges. Car il n’y a pas assez de bois au Luxembourg.»
Alors que le Luxembourg est le pays des forêts ? «D’abord, on travaille avant tout l’épicéa. Or sa qualité se détériore, il y en a de moins en moins.» Ensuite, il existe une polémique sur la nécessité de perpétuer cette essence de bois qui n’appartient pas, historiquement, aux latitudes grand-ducales… «Vous savez, je suis vice-présidente de la Fedil Bois. Notre but, c’est que notre petit secteur continue à exister. Car certains voient uniquement la forêt comme un site touristique ou écologique. Ces deux dimensions sont très importantes, mais il ne faut pas oublier que la forêt a aussi une dimension économique. Le bois est une ressource première renouvelable. Oui, l’épicéa n’était pas un bois de nos régions. Mais un compromis est possible. On ne dit pas qu’il faut le planter partout, mais qu’on peut le faire là où il pousse bien et où il ne dénature pas le sol, comme ici.»
Car l’épicéa a un avantage : «C’est le bois de construction par excellence. Il pousse vite. Et aujourd’hui, on veut construire des maisons basse énergie en bois. Nous, on peut produire les planches, mais si on ne plante plus de bois, on devra l’acheter à l’étranger, en Pologne ou en Russie. Écologiquement et économiquement parlant, ce sera moins cohérent.»
Les concurrents ? Même pas peur
En attendant, «les temps sont difficiles. Le prix d’achat du bois a augmenté. On paie dix euros de plus par mètre cube qu’en 2014. De l’autre côté, le prix de vente des produits finis a baissé.»
De plus, «aujourd’hui, il n’y a plus que deux scieries au Luxembourg (Bois Brever et Bois Scholtes à Manternach), mais dans un périmètre de 100 km, en Belgique et en Allemagne, il y a encore cinq scieries, bien plus grosses».
Mais la scierie Brever n’a pas dit son dernier mot. «Niveau prix, bien sûr, on n’est pas les plus bas, car on ne peut pas concurrencer les grosses scieries sur leur terrain. Donc nous, on veut faire de la qualité. On a l’avantage d’être petit, dans le sens où on ne fait pas que des produits standard, on fait tout sur mesure. Le client vient, il demande n’importe quelle dimension et on la fait. Pareil pour le transport, on a nos propres camions, et on est flexible s’il faut faire plus dans le détail. On ne baisse pas les bras !»
Romain Van Dyck
Elle prépare déjà l’avenir
Son père avait déjà diversifié les activités de la scierie, en installant notamment une raboterie, et en proposant de nouveaux produits, comme des clôtures de jardin…
Corinne a aussi de la suite dans les idées. Elle mise notamment sur un produit innovant : le bois massif reconstitué (BMR). «On commencera en janvier prochain. Ici, on va stocker plusieurs dimensions de BMR, et le client pourra commander du sur-mesure», nous explique-t-elle à côté de machines flambant neuves, dans un immense hangar.
Le BMR est un assemblage de lames de bois massif de forte épaisseur, parfaitement collées. «C’est le même produit que le bois naturel, mais recomposé, donc sans défaut. On sera la première entreprise à en produire au Luxembourg !»