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[LuxFilmFest] « The Mole Agent », entre documentaire et film d’espionnage


La direction que prend "The Mole Agent" est celle, plutôt inattendue, de l'émotion et de l’intime. (Photo : DR)

Cette semaine, la critique porte sur The Mole Agent, de Maite Alberdi.

Oubliez tout ce que vous savez déjà sur le film d’espionnage : avec The Mole Agent, la réalisatrice chilienne Maite Alberdi s’empare d’un genre ultracodifié et maintes fois imité pour livrer le documentaire le plus curieux de ce onzième LuxFilmFest. Un pari amusant mais finalement logique pour filmer l’improbable histoire de Sergio Chamy, un retraité de 83 ans engagé par l’agence du détective privé Romulo Aitken pour espionner pendant trois mois le quotidien d’une maison de retraite dont le personnel est soupçonné de maltraitance envers ses résidents.

Impeccablement préparé pour ne pas éveiller les soupçons, le documentaire prétend ainsi suivre le quotidien de la maison de retraite alors que le détective Romulo se livre à une série – hilarante – d’entretiens d’embauche pour trouver sa taupe. Pour ces hommes âgés de 80 à 90 ans, une seule condition est requise : savoir maîtriser les nouvelles technologies, pour pouvoir transmettre des rapports en sous-marin depuis l’intérieur de l’hospice. Autant dire que ce n’est pas gagné…

 

Une aventure haute en couleur, entre documentaire et film d’espionnage

La réalisatrice de 37 ans, qui a déjà filmé à plusieurs reprises les personnes âgées et les maisons de retraite (dans La Once, en 2014, puis dans le documentaire court Yo no soy de aquí, en 2016), est plus à l’aise que jamais dans l’exercice documentaire, qu’elle reprend à sa façon. Il y avait de quoi raconter une aventure haute en couleur, et Maite Alberdi choisit l’originalité de la mise en scène, en opposition au stylisme qui se fabrique habituellement au montage. Ainsi, la première partie du film, entièrement dédiée à son aventure loufoque, embellit la réalité pour la faire ressembler à un vieux film noir : les briefings dans le bureau du détective se font à huis clos, les stores vénitiens sont baissés, la lumière joue sur le contraste des extrêmes, le cadrage oscille entre la réalisation classique et les angles de caméra périlleux, exagérant les angles, les lignes et les formes.

Mais l’infiltration ne se passe pas comme prévu : peu de temps après son arrivée, Sergio a beau avoir appris à passer un appel FaceTime, il se révèle inefficace. Ce qui devait être une version senior de Chinatown se transforme donc en une aventure maladroite dans laquelle Sergio serait plutôt une imitation de l’inspecteur Clouseau interprété par Peter Sellers dans The Pink Panther. C’est aussi là que Maite Alberdi prouve tout son talent de documentariste : quand le sujet initial lui échappe, elle observe, et découvre l’homme parfaitement charmant qu’est Sergio, fatigué de rendre des comptes au détective. Désintéressé par son job d’infiltré, il participe à la vie quotidienne de la maison de retraite, principalement habitée par des femmes, dont beaucoup ne se sont jamais mariées. Il écoute leurs doléances, leurs souvenirs, leurs regrets. Il devient un soutien indéfectible pour beaucoup de résidentes et entretient même une idylle, aussi brève que sincère, avec l’une d’entre elles.

Tout cela se passe devant l’œil de la caméra, tandis que la réalisatrice dépouille peu à peu son film de tous les artifices qui en faisaient sa singularité. La direction que prend The Mole Agent est celle, plutôt inattendue – quoique logique – de l’émotion et de l’intime, qui prend un sens tout particulier au regard de la pandémie actuelle.

Valentin Maniglia