La présidente du jury international, Marjane Satrapi, s’est présentée au public du LuxFilmFest en même temps que son nouveau film, Radioactive.
«Aux États-Unis, on parle de « film industry ». En France, on parle de 7e art. Il fallait trouver un mode de production qui soit entre les deux.» C’est ainsi que Marjane Satrapi, qui n’a pas sa langue dans sa poche, définit son retour au cinéma européen, à mi-chemin entre le divertissement et le film d’auteur, cinq ans après The Voices, délire tordant et schizophrène produit en Amérique et dans lequel Ryan Reynolds, qui commençait alors à se montrer là où on ne l’attendait pas, obéit aux ordres de son chien et de son chat, qui exigent de lui qu’il tue les filles qu’il fréquente. Un hiatus de cinq ans durant lequel l’auteure de bandes dessinées et réalisatrice franco-iranienne s’est faite plus rare.
C’est en tout cas en pleine forme qu’elle revient cette année avec Radioactive, un film biographique singulier sur la vie et les combats de Marie Curie, physicienne, chimiste et, surtout, première femme à avoir obtenu le prix Nobel, seule femme à en avoir obtenu deux et seule personne récompensée du Nobel dans deux domaines différents (physique et chimie). La scientifique prend les traits de l’actrice britannique Rosamund Pike, dans une admirable interprétation, jouée ici avec douceur, là avec fermeté.
Marie Curie souffre de sa condition de femme
Car Marie Curie n’est pas vraiment une femme de son époque. À la fin du XIXe et au début du XXe siècles, on ne parle pas encore de libération de la femme; Simone de Beauvoir, l’autre des «deux héroïnes» de Marjane Satrapi, et Betty Friedan sont encore loin. Mais la détermination et le génie assuré de Marie Sklodowska-Curie – qui doit essuyer, en plus des critiques émises quant à son genre, celles relatives à ses origines polonaises – la confortent dans l’idée que les hommes qui font le monde dans lequel elle vit finiront par reconnaître son importance.
De sa rencontre avec Pierre Curie (joué par Sam Riley), qui devient son associé puis son mari – ils partagent le Nobel de physique en 1903 pour leurs travaux sur la radioactivité – naît, dans les yeux de Marjane Satrapi, une relation homme-femme sensible, à défaut d’être réellement émancipatrice. On y devine l’intérêt de la réalisatrice pour un couple fort parce qu’il est constitué, au départ, de deux perdants : l’un parce qu’il est quelque peu écarté par ses pairs, l’autre parce qu’elle est une femme. Et, d’une certaine manière, c’est à travers la science qu’ils trouvent, ensemble, une forme d’affranchissement envers une société qui les rejette.
Mais Marie, qui souffre toujours plus – elle reproche à Pierre, inconscient des avantages innés que lui offre sa nature d’homme, de n’être pour lui qu’une vulgaire femme au foyer, voire une machine à faire des enfants –, consolide sa position et devient non seulement une femme forte, mais la moitié la plus forte du couple. Marjane Satrapi ne manque pas de scruter un Pierre Curie, dans la seconde partie du film, perdant peu à peu pied avec la réalité à cause d’une maladie qui finit par le rendre, physiquement et émotionnellement, aussi instable que les atomes de polonium et de radium.
Pour autant, Radioactive n’est pas un manifeste féministe, mais plutôt le récit d’une femme inquiète de vivre dans une époque où la vitesse à laquelle va le progrès scientifique n’empêche pas l’inertie sociale, et qui agit en conséquence. Pourquoi Radioactive, d’ailleurs? On a tous fredonné, en lisant le titre, du Imagine Dragons, du Kings of Leon, du Rita Ora ou du Kraftwerk… Blague à part, Marjane Satrapi offre une explication : «Je ne voulais pas simplement faire un biopic de Marie Curie, mais aussi un biopic de la radioactivité.»
Car ce qui fait l’originalité du film, mis à part deux séquences quasi oniriques où la réalisatrice met en scène la danseuse des Folies-Bergère Loïe Fuller, c’est l’alternance entre la vie de Marie et Pierre Curie et des bonds dans le futur, à Hiroshima en 1945 ou à Tchernobyl en 1986, donnant à voir les conséquences négatives de leurs découvertes, au fur et à mesure qu’eux-mêmes avancent dans le film rongés par la maladie et les radiations.
Un choix de réalisation qui peut dérouter, couper le rythme parfois, mais dont Marjane Satrapi s’empare pour élargir encore plus sa palette de couleurs, changer de ton et faire de cette première adaptation d’un roman graphique qui n’est pas le sien (Radioactive de l’Américaine Lauren Redniss) une œuvre cinématographique où sa patte est partout.
Radioactive, de Marjane Satrapi.
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Valentin Maniglia