C’est un film coup-de-poing, dont la puissance tient dans les quatre lettres de son titre, claquant : Flee, soit fuir. Un mot, porteur de peur comme d’espoir, qui suit les pas d’un jeune réfugié afghan homosexuel quittant son pays pour rejoindre l’Europe.
Une histoire vraie semée d’embûches qui fera date, pas seulement pour son sujet poignant (largement abordé), mais surtout pour sa forme et son originalité. Replaçons alors l’origine du projet : Jonas Poher Rasmussen, alors adolescent, rencontre Amin Nawabi dans sa petite ville du Danemark, au milieu des années 90. Ils deviennent vite amis. Vingt ans plus tard, le premier, devenu réalisateur, propose au second, universitaire, de raconter son histoire. Son exil. Son cruel déracinement.
Initialement, Amin ne souhaitait pas parler de ce qu’il avait vécu – il ne l’a jamais fait jusqu’alors, même son compagnon qui partage sa vie ignore tout de son passé –, craignant pour son statut de demandeur d’asile et d’être perçu comme une victime. C’est là que son camarade a eu la bonne idée : traduire les entretiens avec lui sous forme de film d’animation et, grâce aux dessins, mettre un visage humain sur la crise migratoire tout en préservant l’anonymat de celui qui l’a inspiré. Du coup, Flee apparaît comme un documentaire hybride, primé aux festivals de Sundance et d’Annecy – il sera le candidat officiel du Danemark pour les prochains Oscars, où il est nominé à trois reprises.
Dans les pas de Valse avec Bachir
Évidemment, le rapprochement avec le célèbre Valse avec Bachir d’Ari Folman (1992), premier véritable documentaire d’animation, est évident. Les deux partagent le même souci d’authenticité, au point que Flee s’appuie régulièrement sur des images d’archives pour étayer les propos du narrateur. Celui-ci, comme en thérapie devant son confident et sa caméra, saute du passé au présent, et des rires aux larmes. Il évoque, bien sûr, son homosexualité (avec des passages amusants sur son amour secret pour Jean-Claude van Damme et des stars de Bollywood), sa détresse d’exilé, sa difficile quête de bonheur, et ses traumatismes, nombreux (depuis la disparition de son père dans le Kaboul des années 1980, en plein communisme, jusqu’à la décision de sa famille de quitter la capitale, encerclée par des combattants islamistes en 1996).
Mais le film, qui change parfois d’esthétisme lors des moments les plus glaçants, s’attache surtout au sort désormais trop familier des milliers de réfugiés qui risquent chaque jour leur vie pour fuir les zones de conflit et gagner l’Europe. La pop des années 80 – qu’il écoutait petit avec son walkman rose – contrebalance de terribles épreuves : celle de ses deux sœurs, prisonnières d’un conteneur étouffant d’un cargo traversant la mer Baltique, comme son propre calvaire sur un bateau surpeuplé prenant l’eau de partout. Six ans d’errance, d’attente et de privation de droits face à la violence de flics corrompus et de passeurs sans âme. Flee, sans pathos et avec intelligence, parle de tous ces gens qui, un jour, n’ont plus aucun contrôle sur ce qui leur arrive. Un sublime témoignage d’un monde qui ne l’est pas.