Le cinéaste palestinien Elia Suleiman est honoré d’une rétrospective dans ce 12e LuxFilmFest, dont il est également président du jury international. L’occasion de revenir sur les quatre films de ce maître tragicomique.
Dès ce mercredi soir, et pendant les quatre prochains jours, le jury international découvrira la compétition officielle (moins un film) de cette 12e édition du Luxembourg City Film Festival. Un jury à l’image du festival : décalé, pointu, toujours plus célébré dans le monde entier et incontestablement prestigieux. Composé donc de l’actrice canadienne Suzanne Clément (Laurence Anyways, Mommy), du compositeur franco-luxembourgeois André Dziezuk (Egon Schiele, Tel Aviv on Fire), de la directrice de la photographie française Jeanne Lapoirie (Huit Femmes, Michael Kohlhaas, Benedetta), de l’acteur argentin Nahuel Pérez-Biscayart (120 Battements par minute, Au revoir là-haut) et de la cinéaste américaine Ana Lily Amirpour (A Girl Walks Home Alone at Night, The Bad Batch).
Un jury à l’image, aussi, de son président, Elia Suleiman, Palestinien né à Nazareth, en Israël, et de confession chrétienne orthodoxe. Qu’il soit le protagoniste de ses fantaisies tragicomiques est une évidence. Héritier des maîtres du burlesque muet, Buster Keaton et Jacques Tati en tête, Elia Suleiman observe avec un humour désarmant la vie qui va autour du conflit israélo-palestinien. Avant une rencontre avec le public luxembourgeois, samedi après-midi, le LuxFilmFest organise une rétrospective des quatre longs métrages du cinéaste. Guide de voyage d’un clown et poète pas comme les autres.
Chronique d’une disparition (1996)
Le premier long métrage du réalisateur est aussi son plus directement autobiographique. «Ma vie me fait rire. Je suis loin d’être courageux. Pas aventureux pour un sou. J’aimerais m’installer et vivre une vie ordinaire, mais même lorsque je tente volontairement de me conformer, c’est voué à rater», écrivait-il à l’époque de Chronique d’une disparition, mosaïque absurde de la vie des Palestiniens en Israël, qui s’agite autour du cinéaste en perdition. Auteur à la fois d’un «journal intime» et d’un «journal politique» (les deux parties du film), Elia Suleiman fait une œuvre séminale, récompensée à Venise (prix du meilleur premier film), qui marquera le début d’une carrière unique.
Intervention divine (2002)
Un homme déguisé en père Noël poursuivi par une bande de jeunes armés de couteaux sur les hauteurs de Nazareth. Un chauffeur de taxi qui salue les passants tout en les insultant à voix basse. Un entraînement aux armes à feu chorégraphié comme dans une comédie musicale. Le réalisateur éclatant un ballon rouge sur lequel est dessiné le visage de Yasser Arafat. Dans cette «chronique de l’amour et de la douleur», ce n’est plus sous les seuls yeux (de cocker) de Suleiman que la vie burlesque se passe, mais sous ceux de son couple de cinéma, séparé par le conflit israélo-palestinien. Fou, hilarant, terrible, inoubliable.
The Time That Remains (2009)
Avec ce troisième film, Elia Suleiman se découvre aussi cinéaste du temps qui passe. Son récit commence au moment de la formation de l’État d’Israël et se termine à l’époque contemporaine. Sur une période de soixante ans, Elia Suleiman raconte l’histoire d’une famille, la sienne, telle que son père l’a racontée et que son cinéaste de fils l’a transformée. Toujours en observateur et en raconteur d’une vie vécue au gré de la guerre, il replonge dans son enfance et son adolescence en affinant sa poésie. Le comique fait toujours mouche mais est plutôt «sottovoce»; en donnant toute sa puissance à l’élément visuel, Suleiman double sa dimension contemplative d’un sens renversant du plaisir et de la réflexion.
It Must Be Heaven (2019)
L’acteur mexicain Gael Garcia Bernal fait les présentations : «Je te présente mon ami, il réalise une comédie sur la paix au Moyen-Orient.» «C’est déjà drôle !», lâche la femme, productrice. Au milieu, Elia Suleiman, impassible comme toujours. Dix ans après son précédent film, il revient avec une succession de saynètes qui l’amènent à Paris (où il vit aujourd’hui), New York, Montréal… et, bien sûr, à Nazareth. Avec ce film, le cinéaste désormais barbu et grisonnant, mélange de Jeff Goldblum et Droopy, reste invariablement statique dans un monde qui ne tient jamais en place. Un nouveau conte plein de moments de grâce, qui confirme une chose : tant que ce qui l’entoure le laisse perplexe, Elia Suleiman ne s’arrêtera jamais de poser sur cela son œil ironique. Et c’est tant mieux.