Près de quatre ans après sa disparition, le LuxFilmFest salue la mémoire du «pionnier» Pol Cruchten, à travers un bel hommage qui traverse 30 ans de carrière.
La disparition de Pol Cruchten, le 3 juillet 2019, a laissé un grand vide dans le paysage cinématographique luxembourgeois. Comme un signe étrange, c’est dans une période où l’industrie nationale du cinéma commence à rayonner loin hors de ses frontières que l’un de ses plus importants représentants disparaît… L’émoi ressenti à l’annonce de sa mort se fait encore sentir aujourd’hui, alors que la mémoire du cinéaste est plus forte que jamais durant cette 13e édition du LuxFilmFest, jusque dans la compétition officielle : Pol Cruchten avait soutenu, dès ses premières phases, le nouveau film de Laura Schroeder, Maret, et aurait dû le produire, à l’instar de son précédent long métrage, Barrage (2016). Pour Red Lion, société qu’il a cofondée en 1996, une page se tourne aussi avec ce festival, qui rend un bel hommage à un grand du cinéma national.
Pol Cruchten a fait ses débuts après Andy Bausch et son Troublemaker (1988), ce qui n’empêche pas Fabrizio Maltese de le définir comme un «pionnier». Le photographe et cinéaste a présenté L’Invitation, une très belle errance documentaire qui prend pour point de départ le projet inachevé sur lequel Pol Cruchten travaillait au moment de sa disparition, un film qu’il développait avec le réalisateur Abderrahmane Sissako et qu’il devait réaliser en Mauritanie.
«Pol, pour qui j’avais énormément de respect, m’avait contacté sans que je m’y attende, et m’avait offert le poste de directeur de la photographie» de ce qui devait s’appeler Visage(s) d’Afrique et «qu’il m’avait présenté comme une sorte de rêve : « Abderrahmane Sissako m’invite à boire le thé en Mauritanie, et j’aimerais que tu m’accompagnes. »» Un voyage jamais effectué : trois mois plus tard, Pol Cruchten décède à La Rochelle. En acceptant, plus tard, de reprendre ce projet, Fabrizio Maltese rend hommage «à une amitié, celle de Pol et Abderrahmane, qui sont devenus les sujets du film».
Si le dernier projet initié par Pol Cruchten a évolué, en devenant celui de Fabrizio Maltese, le LuxFilmFest fait évènement en projetant, pour la première fois de son histoire, un film de patrimoine, qui n’est autre que Hochzäitsnuecht (1992), premier long métrage du réalisateur, montré dans une copie restaurée flambant neuve à l’occasion des 30 ans du film. «Je n’aime pas me voir à l’écran, mais je suis hyper-curieuse de le redécouvrir, car je ne l’ai pas revu depuis sa sortie!», assure Myriam Muller, qui y tient le premier rôle.
Film après film, Pol n’a cessé de démontrer qu’il était un grand cinéaste
Les souvenirs du film, eux, sont bien présents dans l’esprit de la comédienne, qui ne risque pas d’oublier «le tournage le plus dur que j’ai fait», dont les sessions de travail se déroulaient uniquement la nuit. Une expérience «assez chaude, pour une petite nana de 19 ans». «C’était super de faire ce film, j’étais fière et heureuse d’avoir eu ce rôle, mais c’était un film difficile sur un sujet difficile», l’addiction à l’héroïne, que Catherine, le personnage de Myriam Muller, veut assouvir le soir de son mariage. Son époux à l’écran, Thierry Van Werveke (disparu en 2009, «lui aussi trop jeune»), «a toujours endossé un rôle de grand frère avec moi», souligne la comédienne, qui loue aussi l’humanité de Pol Cruchten.
Comme Fabrizio Maltese, Myriam Muller se souvient d’une personnalité inspirante (ce que corroborent toutes les personnes qui l’ont rencontré), avec «un talent incroyable». La preuve : Hochzäitsnuecht avait été présenté en compétition Un certain regard en 1992, restant à ce jour la seule production 100 % luxembourgeoise à avoir atteint la compétition officielle d’une section du festival de Cannes.
Sur la Croisette, c’était «l’aventure», glisse-t-elle : «On a été parachuté dans ce festival, Pol et moi, mais c’était rigolo d’y être. On était assez isolés – le Film Fund était encore tout jeune – et on n’avait pas les épaules pour exister au sein d’un tel évènement, même avec un film en compétition.» «Pol, en tant que jeune réalisateur, et avec les honneurs réservés à son premier film, attendait beaucoup de ce festival. Pour lui, c’était extraordinaire!» Il a beau être rentré bredouille, son tour de force cannois a marqué l’histoire et le film est salué, trois décennies plus tard, comme l’une des œuvres emblématiques de la production nationale.
Depuis Hochzäitsnuecht, Pol Cruchten a multiplié les projets, créé sa société de production, tenté l’aventure américaine (Boys on the Run, 2003), connu d’autres succès internationaux, expérimenté les formes et les possibilités du cinéma – en restant toujours fidèle aux vies marginales, qu’il aimait tant filmer – et est devenu le père spirituel et indéfectible soutien de toute une nouvelle génération de cinéastes luxembourgeois : Govinda Van Maele, Laura Schroeder, Jacques Molitor, Gintare Parulyte…
La ressortie prochaine de son premier film, dont l’avant-première, hier soir au LuxFilmFest, a vite affiché complet après la mise en vente des billets, sera un moment important pour la préservation du patrimoine cinématographique luxembourgeois. Mais «Hochzäitsnuecht, ce n’est pas un « one shot », conclut Myriam Muller. Film après film, Pol n’a cessé de démontrer qu’il était un grand cinéaste, en particulier avec ses documentaires.» Trente ans après les débuts de celui qui l’a inspiré, ce n’est pas Fabrizio Maltese qui dira le contraire.
Hochzäitsnuecht, de Pol Cruchten.
L’Invitation, de Fabrizio Maltese.