L’important documentaire « Crise et chuchotements », des réalisateurs Jossy Mayor et Laurent Moyse, raconte de l’intérieur ce week-end de septembre 2008 où l’État a décidé de sauver deux des banques principales du pays.
Le vendredi 26 septembre 2008, les banques Fortis et Dexia s’affolent : la menace de la crise des «subprimes» s’apprête à se répercuter de plein fouet sur le Luxembourg, mettant en péril l’avenir immédiat de la BGL (alors Fortis Banque Luxembourg) et de la BIL (intégrée au groupe Dexia). Pendant tout le week-end, l’État luxembourgeois, de concert avec les directions des banques, travaillera sans relâche pour sauver les deux entités et éviter, à l’approche d’une nouvelle semaine, un cataclysme qui a déjà fait de nombreux dégâts ailleurs, et qui pourrait bien porter un coup fatal à toute l’économie nationale. Avec Crise et chuchotements, le journaliste Laurent Moyse et l’artiste Jossy Mayor proposent de découvrir le récit de ces 48 heures terribles, racontées par ceux qui y étaient.
«Le but n’était pas seulement de faire un film sur la crise financière», explique Jossy Mayor. «On voulait montrer comment des gens à la tête d’un État ont décidé en un week-end d’agir, avec la seule solution possible : aider les banques.» Son coréalisateur ajoute : «Nous ne sommes pas partis dans une chasse aux responsables, à trouver sur qui rejeter la faute. Ce qui nous intéressait, c’était de raconter ce week-end tel qu’il s’est produit et ses conséquences. C’est très factuel, en réalité.» Et ce, pour deux raisons : d’abord, parce que le film «expose énormément de détails que l’on ne connaissait pas jusqu’alors», puis aussi car nous parlons d’un film «grand public, qui cherche à intéresser les spectateurs qui ne comprennent rien à la place financière», un sujet «pas très sexy», conviennent en riant les réalisateurs.
«Film de référence»
La genèse du film remonte aux environs de 2017 : c’est à cette période que Jossy Mayor et Laurent Moyse ont «approché les premiers intervenants», dont ils avouent n’avoir «pas tiré grand-chose». Puis les langues ont commencé à se délier. «Quelque temps après la crise, de nombreux intervenants du documentaire étaient encore en poste. Même au début du projet, ils refusaient de nous dire quoi que ce soit. Avec le temps, on prend du recul. Ces personnes ont compris ce qui s’est passé, l’ont analysé et ont tiré elles-mêmes des conclusions, du fait de la distance. Elles sont passées à autre chose et étaient plus disposées à nous raconter cette histoire», analyse Laurent Moyse.
Ainsi, la liste est longue : les ministres de l’époque des Finances, Luc Frieden, et de l’Économie et du Commerce extérieur, Jeannot Krecké, les anciens dirigeants de Fortis Luxembourg, Carlo Thill, et de Dexia-BIL, Frank Wagener, l’ex-directeur de l’ABBL, Jean-Jacques Rommes… Tous font ensemble le récit d’une opération de sauvetage vue pour la première fois de l’intérieur. Avec un illustre absent, toutefois, Jean-Claude Juncker, dont la présence plane néanmoins au-dessus du film, à travers des images d’archives essentielles. «On l’a contacté à plusieurs reprises, sans réponse», indique un Laurent Moyse qui semble peu surpris de la réaction de la part de celui qui était alors Premier ministre. «Il était de toute façon occupé par autre chose à l’époque où nous l’avons contacté, son mandat à la tête de la Commission européenne prenant fin (…) Ce qu’il dit dans les archives est très juste, c’est tout ce dont nous avions besoin, en réalité, donc nous n’avons pas insisté.»
L’objectif des réalisateurs, «validé» par les intervenants, était de «faire un film de référence sur un sujet dont on ressent encore aujourd’hui les effets», avec des secrets plus ou moins cocasses désormais révélés. «Pendant que l’on travaillait sur le film, on nous a reproché d’ouvrir la boîte de Pandore», affirme Laurent Moyse. Il s’agit surtout d’un récit exhaustif d’un problème et de sa solution, qui passe par les incompréhensions, les couacs, les décalages et, finalement, la prise – risquée – d’une décision finale. Un film important, étrangement rattrapé par la réalité, quand les conséquences de la pandémie et de la guerre en Ukraine amènent les États, les économistes et, avant toute chose, chaque citoyen, à se poser de nouvelles questions. Qui sait comment la situation actuelle évoluera d’ici à la sortie du film dans nos salles, le 18 mai prochain ?