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[LuxFilmFest] « Chichinette » : Mamie fait de la résistance


Née à Metz en 1920, Marthe Cohn fêtera ses cent ans le 13 avril. Un siècle d'une vie incroyable. (photo DR)

Dans « Chichinette », Nicola Alice Hens raconte l’histoire de Marthe Cohn, juive devenue espionne pour les renseignements français à la fin de la guerre.

Née Marthe Hoffnung à Metz en 1920, Marthe Cohn, qui fêtera ses cent ans le 13 avril, a relaté sa vie turbulente dans un livre publié en 2002 et traduit en français en 2004, Derrière les lignes ennemies. L’impossible histoire de Marthe, juive française parfaitement bilingue en allemand, commence au cours de la Seconde Guerre mondiale : à 22 ans, elle organise la fuite de sa famille, partie vivre à Poitiers, vers la zone libre, avec de faux papiers. On refusera à la jeune Marthe une place dans la Résistance ainsi que dans l’armée, où elle propose ses compétences d’infirmière, mais grâce à sa maîtrise de l’allemand, on lui propose, après la libération de Paris, de rejoindre les services de renseignement. Marthe a alors 24ans et s’apprête à pénétrer en Allemagne, où elle travaillera en tant qu’espionne au service de la France, fournissant d’importants renseignements aux troupes françaises.

Soixante-quinze ans après la fin de la guerre, il reste encore beaucoup d’histoires à découvrir sur cette période sombre de l’histoire, et la réalisatrice allemande Nicola Alice Hens apporte sa pierre à l’édifice avec Chichinette : ma vie d’espionne, un superbe et indispensable documentaire sur cette mamie tantôt sensible, tantôt espiègle, un peu rock star sur les bords. Aujourd’hui installée à Los Angeles, elle parcourt le monde, à bientôt 100 ans, pour raconter son histoire.

Une femme dans un monde d’hommes

«Je l’ai découverte un peu… non, complètement par hasard, confie la réalisatrice. J’étais invitée au Goethe Institut à Los Angeles pour présenter un film sur une artiste juive allemande, Charlotte Salomon (NDLR : Death and the Maiden), sur lequel j’étais directrice de la photographie. Après cette séance, Marthe Cohn est venue vers moi. Elle avançait très lentement, mais quand elle s’est retrouvée devant moi, j’ai remarqué qu’elle était hyper-vive, hyper-réactive.» Dans leur discussion, «Chichinette, la casse-pieds» (le surnom que les services de renseignement avaient donné à Marthe, qui aimait ennuyer ses collègues et supérieurs) lui glisse qu’elle s’apprête à se rendre à Berlin puis en France pour un mois. «Donc je l’ai recontactée et lui ai demandé si je pouvais la suivre avec ma caméra (…) Et petit à petit, j’ai décidé d’en faire un film.»

Un documentaire où Marthe traverse l’Europe et les États-Unis, de Los Angeles à Fribourg en passant par Paris et Londres, accompagnée de son mari, le major Lloyd Cohn, qui dit lui-même être devenu son assistant, alors que leur rencontre a été provoquée lorsque Marthe était infirmière et assistante de Lloyd Cohn, un médecin militaire. Un renversement des rôles qui fait sourire, mais qui pose aussi en filigrane l’importante question de la place des femmes en temps de guerre. «Pas (la) première intention» de Nicola Alice Hens, de son propre aveu, mais la réalisatrice a forcément réfléchi au sujet. «En travaillant sur le film, j’ai vu à quel point les femmes ont été mises de côté par rapport aux hommes (…) Alors oui, c’est la guerre, donc c’est un monde très masculin, marqué par cette façon d’honorer des soldats, donc des hommes, qui ont fait des choses importantes. Mais la vie civile au quotidien a été marquée par le travail des femmes, et on ne leur donne pas la même valeur. Après la guerre aussi d’ailleurs, il ne faut pas l’oublier. Les hommes étaient blessés ou emprisonnés, et ce sont les femmes qui ont reconstruit les pays détruits. Mais apparemment, dans l’ensemble de la société, ça ne semble pas assez important…»

Présenté en séance unique au LuxFilmFest avec la collaboration de l’Institut Pierre-Werner et la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg, Chichinette est un film important qui raconte, avec une tendresse inouïe, le parcours difficile de cette femme extraordinaire. «En France, le film est sorti en novembre, il a fait 5 000 entrées, ce qui est assez bien pour un documentaire.» Quant à une sortie luxembourgeoise, Nicola Alice Hens «espère qu’il y en aura une, car on l’a vendu en Hongrie, aux États-Unis, en Chine, au Royaume-Uni…» Et on lui souhaite qu’il soit vu le plus possible, car, si Marthe Cohn continue de se raconter, la réalisatrice aussi a un rôle à jouer, désormais, pour faire connaître l’histoire de «Chichinette».

Valentin Maniglia