Fils du cinéaste militant et icône du cinéma iranien Jafar Panahi, Panah Panahi réalise avec « Hit the Road », son premier film, une véritable sensation, où la comédie douce-amère cache des enjeux politiques. Rencontre.
À 37 ans, Panah Panahi a franchi le pas de la réalisation. Passé par la photographie de plateau à l’époque de ses études de cinéma, il est devenu par la suite assistant réalisateur, opérateur et monteur, des fonctions qui l’ont formé et qu’il a continué d’occuper sur les plus récents films de son père, Jafar Panahi. L’un des cinéastes les plus influents du cinéma iranien actuel est, depuis 2010, interdit de quitter le pays et d’exercer sa profession de cinéaste pour «propagande contre le régime»; son fils, lui, n’a, dit-il, pas eu de problème pour tourner Hit the Road dans les règles, mais doute que ce premier film soit montré en Iran.
Présenté au LuxFilmFest après un passage remarqué à la Quinzaine des réalisateurs – la même section parallèle du festival de Cannes où Jafar Panahi avait présenté son premier film, Le Ballon blanc, en 1995 –, Hit the Road, formidable «road movie» doux-amer dans lequel une famille quitte Téhéran pour une destination secrète, est incontestablement la grande sensation de cette compétition officielle : on rit beaucoup tout au long de ce voyage en voiture, on chante aussi, on danse, on se taquine… Et, à l’approche de la destination, on commence à craquer. Panah Panahi, auteur de cette petite merveille familiale au casting extraordinaire (l’hyperactif Rayan Sarlak, du haut de ses six ans, est un véritable miracle), s’est ouvert au Quotidien sur son processus créatif, guidé par la volonté de «trouver (sa) voix».
Hit the Road est un film universel, avec toutefois un élément fétiche du cinéma iranien : la voiture dans laquelle les personnages et le spectateur passent 1 h 30. Quelle influence les cinémas iranien et étranger ont-ils eu sur vous ?
Panah Panahi : En faisant ce film, je ne me suis jamais demandé à qui il s’adressait. Je faisais avant toute chose le film qui me semblait juste. Je suis très cinéphile, et je crois que nous, les cinéphiles, avons un langage commun. Faire des références, ce n’était pas dans mes intentions. Pas consciemment, du moins. Mais quand on a été nourri par le cinéma, on ne construit pas un discours à partir de rien : dans nos bagages, on a déjà un lexique, un langage à travers lequel on regarde le monde. Étant iranien et ayant baigné dans le milieu du cinéma, les films qui m’ont le plus nourri sont des œuvres du cinéma iranien.
Je crois que (mon père) aussi avait à cœur que je ne cherche pas à le copier
Étant donné le cinéma de votre père et le sort qui lui est réservé en Iran, on découvre avec étonnement que l’univers de Hit the Road soit si différent du sien. Cette démarcation par rapport au père était-elle réfléchie ?
Ça a été l’enjeu de ma vie! Pendant longtemps, ça m’a paralysé : je sentais cette passion du cinéma grandir en moi et je pensais de plus en plus sérieusement à en faire mon métier, mais j’ai toujours eu la crainte que l’on me compare à mon père. Trouver ma propre voix a été un processus très long, pas seulement dans le cinéma, d’ailleurs. Mais être contre mon père ou contre son cinéma, ça n’était pas une bonne solution. Je devais passer par une crise d’identité avant de commencer mon film. C’est comme ça que j’ai trouvé ma voix, et c’est aussi pour ça que ce film est arrivé relativement tard.
Avez-vous souhaité qu’il soit présent pendant le processus de création ?
Oui, il a été très présent, pratiquement à chaque étape. Je dois reconnaître que je ne lui ai fait lire le scénario que lorsque je considérais qu’il était digne d’être lu par lui, autrement dit à la quatrième version. C’est un film qui est aux antipodes de son cinéma, mais il l’a accepté, et cela m’a agréablement surpris. Je crois que lui aussi avait à cœur que je ne cherche pas à le copier. Il s’est comporté comme un père, plus que comme un cinéaste, en me laissant mon espace d’expression. Au montage, sur lequel nous travaillions après chaque journée de tournage, sa présence a été très réconfortante : quand j’avais des doutes ou des crises, il me soutenait. Mais je lui dois surtout une fière chandelle pour m’avoir appris à accompagner les techniciens en post-production, qui a été une étape compliquée.
Hit the Road reste tout de même un film sur la famille. Avec ces deux fils : l’aîné, austère, est indirectement responsable de la rupture familiale. L’enfant, lui, panse les plaies, sans le savoir. Lequel de ces deux frères êtes-vous ?
De manière très certaine, je peux affirmer que je suis non seulement les deux, mais aussi le père. Peut-être même la mère, à certains égards. J’en étais très conscient dès le début de mon travail. Dans ce petit garçon, sa vitalité, sa célébration de la vie, il y a le petit garçon que j’étais, qui par la suite s’est transformé en ce grand frère désenchanté, qui essaie de trouver une échappatoire après avoir perdu sa joie de vivre et qui m’a aussi amené à me demander s’il était encore possible de vivre en Iran. Je peux faire, comme mon personnage, le choix de partir, mais si je reste, alors je devrais me reconnaître en ce père cynique et désabusé. À vrai dire, cette proximité avec mes personnages a tourné à la blague : dès que je manifeste un peu de joie, mes copains me disent : « Ça y est, tu es devenu comme le gamin de ton film! » (Il rit.) Mais c’est vrai! J’ai écrit ce personnage en repensant à cette célébration permanente qui caractérisait mon comportement lorsque j’étais petit.