On risque d’entendre parler, à la fin du mois, de Jessica Kingdon et de son premier long métrage, Ascension. Parce que le film est nommé à l’Oscar du meilleur documentaire et que l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences, qui décerne les statuettes, avait récompensé dans cette même catégorie le film de Julia Reichert et Steven Bognar American Factory en 2019. Dans ce dernier, on assistait à l’ouverture d’une usine chinoise dans l’Ohio et l’on suivait les journées de travail des ouvriers (des Américains et des Chinois), rythmées par un choc des cultures qui soulignait l’incompatibilité des industries et des méthodes de travail.
«Travaillez dur. Et tous vos rêves se réaliseront» : voici ce que l’on peut lire sur un panneau, tandis qu’un homme recrute à la volée, énumérant tous les avantages des postes à pourvoir dans son usine. Salaire fixé à trois dollars de l’heure, toutes les facilités sur place, dortoirs à trois minutes à pied avec des chambres pour quatre personnes… Ou peut-être jusqu’à six… Pas plus que huit, en tout cas. Et d’autres règles arrivent : pas de téléphone portable, pas de tatouages, pas de cheveux teints…
Regard unique sur le capitalisme
La première scène d’Ascension rappelle avant toute chose la réalité du travail tout en bas de l’échelle sociale chinoise.
Puis, tout au long de ses 97 minutes, le film déroule une succession de vignettes, parfois absurdes, parfois malaisantes, mais toujours animées par un sens éblouissant de la composition. Jessica Kingdon nous amène dans différentes usines : on y recycle les bouteilles d’eau pour en faire des tapis, on y fabrique les fameuses casquettes «Make America Great Again» de Donald Trump, des paires de jumelles, des poupées érotiques ultraréalistes… Puis on sort de l’usine à la rencontre d’influenceuses qui dispensent des cours pour apprendre aux jeunes femmes à devenir un produit sur les réseaux sociaux, de jeunes qui se destinent à devenir domestiques pour les grandes fortunes du pays, de femmes apprenant les «bons comportements» à adopter sur leur lieu de travail…
La réalisatrice américaine d’origine chinoise dresse un portrait du «rêve chinois» à travers des images sublimes, sur lesquelles plane une musique organique et dissonante (signée Dan Deacon). On ne manque pas de penser à Koyaanisqatsi (Godfrey Reggio, 1988), dont Ascension serait le pendant au top de la technologie. En présentant le fameux rêve sous trois aspects successifs – production, consommation, déchets –, la caméra de Jessica Kingdon grimpe dans l’échelle sociale, en montrant d’abord les ouvriers, puis la classe moyenne et, enfin, les riches et puissants. Un regard unique sur le capitalisme, qui se veut aussi un miroir de nos sociétés de consommation occidentales.
Vendredi, à 16 h 30. Cinémathèque – Luxembourg.