Le deuxième long métrage de Kogonada pose d’emblée le choix de l’intimité.
À quoi rêvent les robots ? Le maître de la science-fiction Philip K. Dick avait posé la question dans l’un de ses chefs-d’œuvre, Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (1968), plus tard adapté au cinéma dans une autre merveille signée Ridley Scott (Blade Runner, 1982). Pour le cinéaste américano-coréen Kogonada, auteur de nombreux essais vidéo sur l’histoire récente et passée du cinéma, la même question sert de porte d’entrée à une réflexion plus profonde. Celle, en réalité, qui est induite par l’existence même de la science-fiction : que signifie être humain ?
En ouverture du film, un portrait de famille : le père, Jake (Colin Farrell), la mère, Kyra (Jodie Turner-Smith), la fille, Mika (Malea Emma Tjandrawidjaja). Derrière l’appareil photo, hors-champ, Yang (Justin H. Min), leur autre «enfant», pas vraiment comme les autres. Yang est un robot doté d’une intelligence artificielle ultradéveloppée, qui sert de grand frère à la petite Mika. Lorsque Yang ne répond plus, Jake trouve un moyen de le réparer, avant que son enveloppe corporelle ne se décompose. Et découvre, à l’intérieur de l’androïde, une banque de données dans laquelle est collectée sa mémoire.
Réflexion sur le deuil
Aux antipodes de la «hard sci-fi» traditionnelle, le deuxième long métrage de Kogonada, avec son esthétique raffinée et des personnages qui chuchotent plus qu’ils ne parlent, pose d’emblée le choix de l’intimité. Yang tombe, inerte, dans les premières minutes du film, mais cette «panne» amène chaque membre de la famille dans des questionnements intérieurs, réfléchissant à la place de Yang au sein du clan. Pour Mika, petite fille adoptée, il est également un point de référence pour la culture chinoise qu’elle ne connaît pas. Les deux s’appellent «mei mei» (petite sœur) et «gege» (grand frère); la perte de Yang fend le cœur de la petite fille. Quant au couple, il bat de l’aile, et l’on découvre ainsi que Yang était, d’une certaine manière, le ciment de la famille.
Sublime objet de réflexion sur le deuil et la famille, After Yang donne également à voir, avec un impressionnant sens de la retenue, un aperçu d’une société futuriste, où les musées se passionnent pour les «technosapiens» et leur mode de fonctionnement (peuvent-ils aimer? quels sont leurs souvenirs?) et où les robots et clones font partie intégrante des familles humaines. Avec un sens de la mise en scène formidablement inventif (avec des séquences répétées sous plusieurs points de vue, avec de légères différences ou «bugs», soulignant les différences dans les souvenirs de chacun), After Yang utilise la science-fiction pour raconter la vie et la mort, avec une sensibilité qui renvoie inévitablement aux odyssées intérieures de Terrence Malick.
V. M.