Tournée vers la génération «Y», la Triennale jeune création, moment phare des Rotondes, convie l’été prochain 40 artistes nés entre 1981 et 1996 pour mieux saisir leurs préoccupations et leur vision de l’avenir.
Kevin Muhlen, directeur du Casino et intronisé commissaire de cette Triennale, s’est rendu compte qu’un léger écart en termes d’âge peut vite créer des décalages inattendus. «Une dizaine d’années à peine me sépare de ces millennials mais de toute évidence, un profond changement de paradigme s’est produit», dit-il. Ayant lui-même défini le thème de cette cinquième édition, intitulée «Brave New World Order» – titre qui devait «servir à interpeller les artistes», inspiré de ces références que sont le roman Brave New World d’Aldous Huxley ou la science-fiction de Philip K. Dick –, il s’attendait à des propositions éminemment politiques, et pourtant, il n’en est rien.
«Ils n’ont pas réagi aux références que j’avais en tête, preuve qu’elles font partie d’un ordre révolu, précise-t-il. On découvre une autre approche du monde, d’autres enjeux.» Pas vachard pour un sou, il retiendra quand même 40 projets – «soit deux fois plus que les précédentes éditions» – parmi 113 dossiers de candidatures, qui s’étaleront dès l’été prochain entre deux lieux : le Casino, donc, et les Rotondes, instigatrices et porteuses de l’idée depuis 2007, quand le Luxembourg (et la Grande Région) portait le titre de «capitale européenne de la culture». Un duo, aujourd’hui aux manettes, qui prouve toute l’importance d’un mot cher à Steph Meyers, directeur des Rotondes : la «synergie». «Cette collaboration permet de mutualiser les efforts, de créer une nouvelle dynamique, explique-t-il. Et cette synergie offre plus de visibilité aux artistes, l’occasion de mieux montrer le potentiel de cette nouvelle génération et de lui offrir peut-être un tremplin pour son avenir.»
Réseaux sociaux, écologie…
Un futur que ces «millennials» questionnent d’un œil neuf, à travers certains «points de convergence» remarqués par Kevin Muhlen. «On a pu constater que l’effet des réseaux sociaux sur l’individualité et la perception de soi et des autres est une question importante. On trouve également un questionnement sur la transition écologique et l’impact de l’être humain sur l’environnement, une envie de retour aux sources qui va parfois jusqu’à une forme de néo-chamanisme.»
En attendant la réunion de ces réflexions «primitives» sur l’homme et la nature, un prélude sera proposé dès février, afin de montrer l’évolution artistique de certains participants des éditions précédentes (principalement celle de 2017). Ce «teaser» à la Triennale, dixit Marc Scozzai, responsable du programme arts visuels des Rotondes, convoquera en effet six artistes dans trois lieux, où ils partageront, chacun dans un espace différent, la suite de leurs réflexions artistiques (voir ci-dessous).
Grégory Cimatti
«Je ne sais pas si je suis un artiste « émergé » !»
L’artiste français Paul Heintz, 30 ans, était de la précédente édition de la Triennale jeune création en 2017. Il raconte son expérience, et dans quelle mesure sa participation à cette plateforme lui a servi.
Entamé en 2017, son projet «Shànzhài Screens» prendra sa forme finale en février 2020, lors de son retour au Luxembourg pour l’exposition «Triennials», réunissant des artistes s’étant illustrés durant les précédentes éditions. Présenté sous forme d’installation, son travail s’intéresse aux artistes-copistes dans la banlieue de Shenzhen, en Chine.
Comment vous êtes-vous retrouvé au cœur de la Triennale jeune création en 2017 ?
Paul Heintz : Un peu par hasard, car je ne connaissais pas, au départ, ce rendez-vous. Disons qu’ayant fait une partie de mes études à l’École nationale supérieure d’art et de design de Nancy, j’étais « affilié » à la Grande Région. Et c’est par cette entremise que j’ai appris l’existence de cette plateforme pour artistes émergents.
En quoi participer à ce rendez-vous vous a été utile ?
Ce qui est intéressant, c’est les rencontres que l’on peut faire avec d’autres artistes du même âge, et issus de Belgique, d’Allemagne, du Luxembourg ou de France. Se voir, échanger… c’est toujours très enrichissant! On a aussi pu nouer des contacts avec des curateurs de toute la région. De plus, grâce à un petit budget de création, la Triennale n’exigeait pas d’anciennes productions, mais de nouveaux travaux. C’est comme ça qu’a débuté ma correspondance avec Wang Shiping.
Justement, où en êtes-vous avec ce projet ?
Je suis en train de le finir. En 2017, ce que j’ai montré aux Rotondes, c’était la toute première étape, soit une retranscription en dessins de ces nombreux échanges avec ce peintre-copiste de Shenzhen. Depuis, ça a évolué en une forme filmique – je me suis rendu sur place en 2018 pour infiltrer cette industrie – et vers quelque chose se référant à la « para-peinture », soit un travail de volume et de collage. Autour de ces trois axes, j’essaye d’interroger le déplacement des images dans cette économie mondialisée, de questionner ce qu’est le travail ouvrier dans cette globalisation, de mettre en lumière, enfin, nos rapports aux écrans et aux téléphones portables.
Outre cette production qui s’est développée dans le temps, en quoi la Triennale jeune création a eu un impact concret sur votre carrière ?
Je ne sais pas si je suis un artiste « émergé » (il rit). Mais oui, je continue de travailler sur d’autres projets, de participer à d’autres expositions. J’ai même remporté la bourse Révélations Emerige en octobre dernier (NDLR : soit 15 000 euros pour réaliser sa première exposition solo en 2020, ainsi qu’un «accompagnement professionnel et un atelier») et participé à l’exposition collective avec les onze autres finalistes à Voltaire, lieu de diffusion éphémère dans le onzième arrondissement parisien. Alors oui, je pense qu’il y a un vrai sens à participer à tout cela.
«Triennale jeune création (5e édition)» Rotondes / Casino – Luxembourg, du 25 juin au 30 août 2020