Au Luxembourg Centre for Architecture, l’exposition «Luxembourg in Transition» rêve à un pays décarboné à l’horizon 2050. Mais l’épreuve est de taille…
Avec son déménagement, en 2022, dans le quartier de Clausen, et ses trente bougies soufflées la même année, le Luxembourg Centre for Architecture (LUCA) avait renouvelé ses vœux de porter haut le développement de la culture de l’architecture au Luxembourg. Et d’aller encore plus loin; autrement dit, de «commencer à agir», tel que l’avait déclaré dans Le Quotidien Maribel Casas, en mars de l’année dernière. Autant dire qu’avec l’exposition «Luxembourg in Transition – Visions for a Desirable Future», qui a couru tout l’été – avec un succès public tant heureux qu’inattendu, se réjouit la directrice scientifique du centre – et se poursuit jusqu’au 7 octobre, le LUCA a bel et bien enclenché la vitesse supérieure. Le but de cette exposition, selon Maribel Casas, est de présenter «une réflexion qui a été engagée il y a deux ans, qui est encore en cours et qui doit absolument se poursuivre à l’avenir».
Flash-back : en 2021, le ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire a commandé à dix équipes internationales et pluridisciplinaires la tâche de récupérer les données carbone du Luxembourg, toutes activités confondues – des données appelées «métriques». Dans une seconde phase, six des dix équipes ont affiné leur travail, puis quatre équipes finalistes ont livré chacune un projet fini permettant d’entrevoir d’ici 2050 des visions propres à des lieux précis pour la décarbonation du Grand-Duché et de son aire fonctionnelle transfrontalière. Le travail abattu dans les rapports produits par les quatre équipes trouve aujourd’hui son prolongement dans l’exposition au LUCA, qui en est le cocurateur. Et puisqu’il ne s’agit pas véritablement d’un concours, l’exposition «ne sépare pas le travail des différentes équipes mais les présente ensemble afin de proposer une réflexion globale», explique Maribel Casas. Il s’agit ici d’une «synthèse» de deux années de réflexion avec, au bout du compte, des solutions tangibles et réalisables pour toucher du doigt la possibilité de faire du Luxembourg un territoire «résilient et décarboné à l’horizon 2050».
Une terre appauvrie
L’étendue du travail à abattre a pourtant de quoi décourager. L’exposition s’en joue dans sa scénographie : on entre dans l’espace en passant à travers un rideau bas et tout juste entrouvert, obligeant les visiteurs à entrer au compte-goutte et en se baissant – signe d’humilité –, pour se retrouver littéralement face à un mur, sur lequel sont imprimées les dures vérités. Soit qu’en 2023, le Luxembourg a épuisé les ressources qu’il est capable de générer annuellement pour subvenir aux besoins de ses habitants… à la date du 15 février. Ou encore que le pays doit réduire ses émissions carbone de 85 % pour atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris. Ce qui semble difficilement atteignable, quand les conséquences du dérèglement climatique semblent aller grandissantes.
Sans oublier que la réflexion entamée par le projet «Luxembourg in Transition» «ne peut se limiter aux frontières du pays», rappelle Maribel Casas. Une carte de la biorégion englobant le Grand-Duché, réalisée par l’équipe Soil & People, montre l’étendue du territoire à prendre en compte pour une transition écologique effective; un mur tout entier présente, lui, une fresque en forme de graphique, qui se veut un portrait politique et social de la fragilisation continue de l’environnement. Difficile de donner une leçon plus claire que cela : la croissance en flèche de la population et du nombre de travailleurs frontaliers dès les années 1990 va de pair avec la dégringolade de la santé des forêts luxembourgeoises. «Ce n’est pas propre au Luxembourg, précise la directrice scientifique : tous les pays ayant eu une croissance économique accélérée n’ont pas su maintenir la croissance de leurs espaces naturels.»
Dans le cas du Luxembourg, c’est particulièrement grave, puisque le pays compte encore une vaste surface naturelle, malheureusement trop affaiblie. La faute à une inégalité agricole majeure : 70 % de la consommation locale sert à nourrir les animaux d’élevage, quand seulement 3 % des légumes produits sur le territoire luxembourgeois sont destinés à la population. Viennent aussi les problèmes de l’imperméabilisation excessive du sol, la très mauvaise qualité de l’eau dans l’écrasante majorité des cours naturels… Chaque information lue ou entendue renvoie à ce mur, à peine métaphorique, que l’on se prend en pleine face à peine passée l’entrée de l’exposition.
Évolutions «vertes»
Heureusement, chaque projet offre ses solutions. On peut voir dans l’exposition «Luxembourg in Transition» des alternatives destinées à sauver les zones commerciales du pays, quasiment toutes en déclin, pour les réaffecter à des projets de transition écologique. Ou des idées pour limiter les dégâts de l’urbanisation et repenser les villes, surtout lorsque l’on sait que 60 % des logements de tout le pays sont sous-occupés et que trop peu de communes offrent la possibilité à leurs habitants d’avoir tous les commerces et services nécessaires dans un rayon de 15 minutes à pied.
L’exemple de Foetz, qui devra accueillir le tram rapide au départ de Luxembourg à l’horizon 2030, est édifiant : une localité entièrement bétonnée, qui accueille 23 000 visiteurs par jour et… zéro habitant, doit ainsi servir de modèle à la décarbonation. Une animation imaginant l’évolution «verte» du lieu d’ici à 2050 a même de quoi rendre enthousiaste : l’implantation éventuelle d’un pôle de transition – première étape vers une transformation écologique de la localité – ne pourrait qu’évoluer dans le bon sens, avec, dans un effet domino étiré sur le moyen terme, la réaffectation d’une partie des routes pour des espaces verts et une mobilité partagée, réinventer les espaces industriels en faveur du logement et de l’éducation…
«Les visions proposées par l’exposition sont beaucoup plus souhaitables qu’une poursuite de la conjoncture actuelle», convient la directrice scientifique du LUCA. Mais au bout du compte, le projet «Luxembourg in Transition» ressemble surtout à un grand rêve d’architectes : réalisable et efficace, mais loin d’être à l’abri du «greenwashing» une fois les travaux finis. Une remarque qui fait esquisser un demi-sourire à Maribel Casas, qui rappelle l’autonomie des communes luxembourgeoises pour ce type de projets, tout en précisant qu’il suffit d’une simple élection pour faire chuter un projet «vert» de longue haleine. «Mais quand un projet est élaboré et signé selon un modèle, la commune, qu’elle bascule dans un camp politique ou dans un autre, ne peut de toute façon rien faire», argue-t-elle. Une petite lueur d’espoir, qui en amène une autre, définitive : «À un moment donné, le pays verra l’intérêt de trouver des alternatives.»
Jusqu’au 7 octobre