Jeudi et vendredi, la Philharmonie mettait à l’honneur l’aptitude et la diversité des artistes nationaux en matière de musique classique et contemporaine. De petits concerts aux grandes rencontres, tout était fait pour célébrer son «excellence». Ambiance.
À l’instar du Jazz Meeting (à Neimënster) et des Sonic Visions (Rockhal), les musiciens du pays aiment sortir, à l’occasion, leurs plus beaux atours, et se réunir comme une grande famille : déjà parce qu’étouffés entre des frontières trop étroites, ils leur faut parfois claironner en cœur pour se faire entendre. Et tant qu’à jurer que le talent est là, autant alors inviter les voisins à s’en rendre compte par eux-mêmes autour d’un verre ou devant un concert.
C’est tout l’objet du Luxembourg Classical Meeting, plateforme de soutien et d’accompagnement, revenu afficher ses bonnes intentions à la Philharmonie pour la troisième fois (après 2015 et 2017). Première nouveauté toutefois, c’est désormais Kultur:LX qui s’occupe de l’organisation (à la place de music:LX, absorbée par la structure collaborative et tentaculaire).
Ainsi, par ruissellement, la manifestation ne se focalise plus uniquement sur l’export, mais «agit à un niveau national», comme l’explique Clémence Creff, chargée de la section classique. Un axe de travail qui apparaît d’ailleurs, noir sur blanc, dans les missions de l’organisme, à savoir «favoriser le rayonnement et la promotion des artistes et des œuvres au niveau national et international».
Des showcases plutôt rares en classique
Ainsi, jeudi et vendredi, entre tintements de verres ou claquements de hauts talons, c’est une filiale au complet qui se retrouvait, le sourire derrière le masque. D’un côté, un éventail d’acteurs locaux essentiels : salles (CAPe, Trifolion), représentants d’orchestres (Lucilin, Solistes Européens Luxembourg, OCL), auteurs-compositeurs (FLAC, Luxembourg Music Publishers). De l’autre, des invités venus d’Europe (Düsseldorf, Amsterdam, Budapest…) et aux spécialités allant de la direction artistique au management. C’est le cas de Zsuzsanna Szálka (House of Music Hungary) qui, curieuse, avoue vouloir en connaître un peu plus sur la scène grand-ducale et «ses méthodes».
Au milieu, une petite brochette de musiciens sélectionnés principalement sur trois critères, comme le précise encore Clémence Creff : «Qu’ils fassent l’actualité, aient au moins un enregistrement à faire valoir – ou en cours de sortie – et une carrière envisagée sur le long terme.» Elle poursuit : «C’est une scène d’excellence qui a besoin de continuer le dialogue au niveau local et international !»
Pour ce faire, le Luxembourg Classical Meeting lui met certains outils à disposition : des showcases, «pratique assez rare en classique», qui lui permettent de montrer toutes ses qualités et son ardeur sur scène. Et des moments, plus ou moins formels, pour se rencontrer, prendre des contacts, dialoguer et ébaucher un réseau, comme lors de ce «speed dating» organisé vendredi en début d’après-midi. Une méthode qui, par le passé, a montré quelques résultats probants : «Oui, il y a des retombées directes, comme des festivals qui prennent des artistes ou la presse étrangère qui en parlent», note Giovanni Trono, responsable «musique» chez Kultur:LX.
Le «rêve inatteignable» d’Artemandoline
À l’affiche, compilant solistes et ensembles parmi les plus talentueux du pays, ainsi que de jeunes promesses, on trouve notamment Artemandoline, dix ans d’activité au compteur. Sur scène, à travers un set vivant, leur passion pour la musique ancienne fait plaisir à voir. C’est qu’ils ont des choses à transmettre… «On a envie que les gens découvrent nos instruments», tous d’époque, lâche Mari Fe Pavón, l’une de ses deux têtes pensantes.
Une entreprise qui passe néanmoins par «beaucoup d’effort», poursuit son compère Juan Carlos Muñoz, pour qui l’appui d’un manager ne serait pas de trop, histoire de les libérer «de certaines contraintes». En attendant, malgré des concerts marquants et des disques qui font date (dont Venice’s Fragrance, 2020), tous dans le collectif sont enseignants au Conservatoire. Un pragmatisme qui répond à une illusion, celle de vivre de la musique, «un rêve inatteignable», selon eux.
De son côté, la flutiste Hélène Boulègue, 31 ans, reconnaît des envies de changement. Fidèle à l’OPL depuis plus de 10 ans, elle avoue aujourd’hui chercher plus d’intimité, et tenter sa chance comme soliste dans des formats plus réduits (récital, concerto, orchestre de chambre). C’est que depuis son premier prix obtenu en 2017 à une compétition internationale à Kobe (Japon), elle a gagné en confiance. «Je me suis dit : « Finalement, je me débrouille bien! »»
Cathy Krier, figure de proue de tout un secteur
Ceux qui en doutent devraient la voir à l’œuvre, en solo ou accompagnée, comme jeudi par la pianiste Katrin Reifenrath. Son set, virtuose et théâtral, a en effet été applaudi copieusement. Ainsi, si elle se dit «musicienne d’orchestre avant tout», elle aimerait tenter de nouvelles expériences, ce qui implique un «aiguillage» que Kultur:LX peut lui fournir. À condition qu’elle n’oublie pas de prendre ses disques avec elle, comme c’est souvent le cas quand elle se rend à des meetings…
Devant une centaine de personnes, le défilé continuera, deux après-midi durant, avec d’autres beaux calibres : Max Mausen, Lucilin (avec un focus sur les compositeurs luxembourgeois Catherine Kontz, Alexander Müllenbach et Roby Steinmetzer), Benjamin Kruithof, le groupe Machine à trois, sans oublier les deux «Rising Stars» que sont Christoph Sietzen et Cathy Krier. Cette dernière, saluée pour ses enregistrements au piano dédiés à György Ligeti, démontre à elle seule que le succès peut se construire depuis le Luxembourg.
Cependant, pour éteindre cette fatalité qui colle toujours à la peau, il va encore falloir faire des efforts, et développer le secteur en lui donnant les moyens d’exister par lui-même. «On a besoin de structurer la filière d’un point de vue professionnel!», conclut avec justesse Clémence Creff – constat qui se tient aussi pour «toutes les autres esthétiques musicales». Un besoin de managers, d’administrateurs et de labels qui pourra d’ailleurs être discuté aux premières assises de la musique classique, prévues début novembre. «Rien n’est gagné!», c’est certain. Oui, la route est longue, mais c’est en bonne voie.
Grégory Cimatti