Après SOL, son premier projet solo, Pascal Schumacher revient accompagné de l’ensemble Echo Collective pour LUNA, nouvel album qui révèle une facette plus contemplative du vibraphoniste luxembourgeois. Découverte.
Vibraphoniste et compositeur, Pascal Schumacher s’est fait un nom, souvent à côté d’autres, en participant notamment à divers projets, du quartette à l’orchestre symphonique.
Mais après Drops & Points, réalisé avec Maxime Delpierre en 2017, le musicien, aussi à l’aise dans le classique que dans le jazz, a découvert le plaisir du solo à l’occasion du prestigieux festival de Salzbourg. Une nouvelle expérience qui aboutira à SOL (2020), habité par un mouvement instinctif de découverte.
Deux ans plus tard, avec LUNA, il reprend ses habitudes, conviant autour de lui les cordes et l’audace de l’ensemble belge Echo Collective, à la réputation de premier plan sur la scène mondiale de la musique postclassique. En résulte un album à voir comme un voyage aux multiples textures, une méditation nocturne accompagnée de percussions et autres synthétiseurs.
Une tranquillité feutrée seulement réveillée par un test positif au covid, qui a obligé Pascal Schumacher à annuler l’une de ses deux dates prévues à la Kulturfabrik la semaine prochaine. Un pépin qui n’entame toutefois pas son moral, ni la tournée à venir en Allemagne. Rencontre.
Après SOL, vous avez ressenti le besoin de rejouer avec d’autres musiciens. Pourquoi ?
Pascal Schumacher : J’ai eu envie d’autres sons, d’autres pulsations, d’autres textures musicales… Des choses que je n’arrive pas à faire moi-même, tout seul. Et aussi un besoin d’échanger, de faire naître de nouvelles idées.
J’avais plusieurs directions en tête, notamment celle d’incorporer des cordes. J’en suis resté à cette orientation car elle était cohérente. Ça m’a fait du bien…
La musique est-elle plus attrayante à plusieurs ?
Être seul comme en groupe a des avantages et des inconvénients. La musique est un art vivant qui se partage. À plusieurs, il y a des interactions, des changements…
En solo, vous pouvez prendre des décisions sur le moment, sans en référer à personne. C’est ce qui m’a plu avec SOL : être maître de chaque instant.
Malgré tout, en 2021, vous avez proposé Re : SOL, un remix par d’autres de votre album. Est-ce né d’un besoin de partager votre musique, à nouveau ?
Non, ça tient plus à un effet de mode qu’autre chose! Confier ses morceaux à d’autres musiciens, je l’ai souvent fait. Je trouve ça intéressant car il y a des allers-retours, des échanges…
C’est relativement facile à faire, ça permet d’alimenter les sorties et de développer de nouveaux publics. Après, ce genre de réflexe existe depuis toujours! Même Bach a repris, à sa manière, les musiques de ses idoles…
Rétrospectivement, comment voyez-vous l’expérience SOL et son résultat ?
C’était un bon moment, un peu spécial aussi. Mes premiers enregistrements dataient de 2019, et SOL devait sortir début mars, pile au moment de la crise sanitaire (NDLR : il est finalement sorti début juin 2020). Du coup, en plein confinement, alors que tout le monde commençait à faire des projets solos, moi, j’avais déjà le mien !
J’avais, en somme, quelques longueurs d’avance sur mes collègues et amis musiciens. C’était finalement le projet idéal pour les deux dernières années : entre les restrictions, les mesures et les tests, être seul (NDLR : en dehors de son ingénieur son), c’était idéal ! D’ailleurs, j’ai joué entre 20 et 30 concerts. Je m’estime chanceux sur ce coup-là.
Et personnellement, qu’avez-vous retiré de cette pratique en solo ?
C’est une expérience d’une grande intensité. Je me suis retrouvé et découvert une foule de choses sur moi-même, plus que je n’aurais jamais imaginé ! Durant le confinement, je me suis aussi mis à apprendre pas mal de trucs techniques – ce que je continue à faire.
Enfin, SOL m’a surtout donné les outils pour faire des concerts solo, ce que je n’avais pas jusqu’alors. J’ai aujourd’hui un large répertoire que je peux défendre. Pour un pianiste, c’est quelque chose d’assez normal. Pour un vibraphoniste, c’est unique !
En live, allez-vous continuer à être seul en scène ?
Oui, ne serait-ce en raison des concerts de SOL, reportés pour cause de crise sanitaire, et qui empiètent sur la sortie de LUNA. Mais ça ne me dérange pas : sur scène, je vais combiner les deux albums, proposer de nouvelles choses et d’autres plus anciennes.
Pour l’instant, je n’ai d’ailleurs que quatre concerts –dont un à la Philharmonie de Luxembourg – avec Echo Collective. Ce seront des rendez-vous plus exceptionnels. Pour le reste, ça sera encore moi, mon vibraphone et le public !
Comment avez-vous découvert Echo Collective ?
Ils sont très connu dans le milieu postclassique. Je suis allé les voir plusieurs fois en concert. On a des connaissances communes, on s’est croisés, on a discuté… Je me suis dit qu’il fallait qu’on travaille ensemble. Ils sont uniques dans leur manière de faire !
Dans quelle mesure ?
Ils ont une approche entièrement intuitive, ce que beaucoup de musiciens classiques, plus puristes, plus formels, ne savent pas faire. Et quand ils improvisent, ce n’est pas à la Grappelli ou à la Lockwood, mais dans une esthétique qui colle bien à ce genre de musique, faite de sons moins parfaits, plus fragiles, quelque chose qui se rapproche du contemporain, avec des grincements d’archets par exemple. Ils connaissent les bons codes, les bons sons. C’est assez exceptionnel !
Comment vous et votre vibraphone vous exprimez-vous alors au milieu des autres ?
Moi, j’ai une double formation : classique et jazz. Et dans ma carrière, j’ai toujours plus eu l’habitude d’improviser que pas du tout. Cette liberté, ça me caractérise bien, et c’est assez logique de travailler comme ça, tout en étant capable de suivre aussi une partition à 100 %.
En outre, dans SOL, le vibraphone était un élément central, alors que sur LUNA, il prend une place moins importante, fait un pas en retrait. Il endosse alors un rôle qui lui va très bien, une sorte de cerise sur le gâteau (il rit).
Du coup, moi aussi, je change de statut : je deviens ici une sorte de producteur qui gère l’ensemble et ajoute des touches de son instrument quand il le faut. C’est un équilibre qui me plaît bien.
Si LUNA s’est construit collectivement, il n’est pas radicalement opposé à son prédécesseur. Vous parlez même d’évolution naturelle, comme « le jour qui glisse vers la nuit« . Expliquez-nous cela ?
Déjà, j’ai l’habitude de sortir un album tous les deux ans. La première année, on savoure le moment, le jeu, les critiques… La seconde, on songe à la transition avec le prochain disque. Ici, c’est le titre qui s’est imposé d’emblée : LUNA.
C’est rapidement devenu évident qu’après SOL, j’allais partir sur une musique qui allait faire référence à la nuit plutôt qu’à la journée. Une atmosphère plus calme, délicate.
Justement, ce côté contemplatif, serein, est-ce une façon de répondre à cette époque tumultueuse ?
Oui, on a tous besoin de choses plus reposantes, qui respirent… J’entends cela chez beaucoup de musiciens. Et puis, il ne faut pas se mentir à soi-même : je vieillis, et ce calme me correspond de plus en plus. Aujourd’hui, je prends le temps de faire les choses sereinement, et le résultat s’en ressent.
Au départ, deux dates étaient prévues à la Kulturfabrik la semaine prochaine (NDLR : finalement, une seule est maintenue). Était-ce pour rattraper le temps perdu occasionné par la crise sanitaire ?
L’idée est surtout, avec mon équipe technique, de mettre en place le live de LUNA. Trouver les bonnes manières de faire et mettre ça en musique. Je ne voulais pas non plus d’une salle pleine, avec un public debout, mais plutôt quelque chose d’intimiste, avec des chaises et une ambiance « lounge« . Jouer deux fois, c’est essentiellement pour entrer de manière plus volontaire dans le projet, peaufiner le set et mettre en place la tournée à venir.
À l’avenir et pour le prochain album, allez-vous continuer en solo, ou être accompagné ?
(Il rit) Je me poserai cette question dans un an !
LUNA, de Pascal Schumacher.
Sortie le 25 mars. Neue Meister.
Kulturfabrik – Esch-sur-Alzette.
Le 24 mars à 20 h.