Artiste touche-à-tout, Luc Spada sort son premier album, Ciao Luca, à travers lequel il se réinvente. Entre la solitude de l’écrivain et, par prolongement, le besoin de la scène, il raconte cette nouvelle étape dans sa riche carrière. Rencontre.
On le connaissait acteur pour le cinéma et le théâtre, écrivain et grand organisateur de slam poétique. S’il s’est aussi frotté, par le passé, à l’univers de la danse, il lui manquait encore une activité pour compléter sa large palette artistique : la musique. C’est chose faite avec l’album Ciao Luca, enregistré entre Munich, Berlin, Vienne et Luxembourg.
Sorti la semaine dernière, le disque combine deux amours de Luc Spada : les mots d’abord et la scène ensuite, qu’il lui tarde de retrouver. En effet, la littérature prend ici beaucoup de place, enveloppée délicatement d’une pop synthétique, fragile, d’abord sombre, mais qui, progressivement, cherche à tendre vers la lumière.
Comme une boule à facettes mélancolique, Luc Spada, dans un chant parlé, parfois «rappé», parfois accompagné, évolue entre la mort, la vie et l’espoir. Il fait face au décès de son père, aux crises de nerfs, à l’isolement… Le langage est cru, multiple, libre, affranchi. Mais dans ses nouveaux habits, l’homme défie également la solitude et le cynisme. Avant un premier concert samedi à Dudelange (d’autres devraient suivre en décembre à Munich et Berlin), Luc Spada, avec cette fragilité et cette paradoxale décontraction qui le caractérisent, se confie. Entretien.
Avec Ciao Luca, vous vous attaquez désormais à la musique. Est-ce pour compléter votre palette artistique ?
Luc Spada : Non. D’ailleurs, je ne pense pas me mettre à la photographie (il rit). En tant qu’acteur, ça m’a toujours manqué de ne pas raconter mes propres histoires. Je me suis alors vite mis à l’écriture, mais là, un autre problème s’est posé : l’absence de vrai public. D’accord, il y a les lectures, mais bon, ce n’est pas la folie non plus… D’où mon orientation vers quelque chose de plus scénique : là, à travers le numéro que vous avez à présenter, le retour des spectateurs est immédiat.
Et la musique, alors ?
J’ai toujours eu envie d’en faire. J’ai d’ailleurs tenté quelques trucs, avec un DJ et de courts textes, mais là encore, ce patchwork ne collait pas. Ça ne m’appartenait pas totalement! Aujourd’hui, notamment à travers ce disque, j’ai pu diriger les émotions et l’histoire comme je le voulais.
En quoi cet album s’imposait-il ?
C’est ce dont j’avais besoin. Cela fait déjà quelque temps que je produis moins, que je souffle et réfléchis à comment évoluer. Ce disque, d’une certaine manière, est une évolution logique, naturelle même, de mon travail.
Dans la chanson Ciao Luca, vous évoquez la mort de votre père. Quand vous parlez d’histoires personnelles, vous ne faites pas semblant…
Dans mes livres, on m’a souvent dit « mais tu parles de toi là, non ? », comme si je n’avais pas le droit à la fiction (il rit). Pour ce disque, je comptais être clair, direct et honnête avec ce que je voulais dire. Oui, j’ai connu pas mal de souffrances, de décès dans mon sillage. Mon père, des amis… La mort dans la vie, ça m’a toujours intéressé, moi qui ai longtemps eu peur de ça. C’est certain, il y a un côté cathartique derrière tout ça et c’est aussi une manière de dire aux gens qu’ils ne sont pas seuls avec leur histoire.
Dans la vie, il y a des risques et des douleurs, mais c’est comme ça. Mieux vaut se laisser aller!
Ces angoisses existentielles, le rapport entre le bien et le mal traversent toute votre œuvre, non ?
Je crois bien, oui. Mais il y a eu des changements : j’évite de me complaire dans la destruction et je cherche à aller vers la lumière, vers quelque chose de positif auquel s’accrocher. Ciao Luca en est une bonne illustration : il pose, au départ, une ambiance sombre et, au fil des morceaux, on tend vers quelque chose de plus clair, jusqu’à la dernière chanson, carrément dansante. Le message est simple : il y a des risques et des douleurs, mais c’est comme ça. Mieux vaut se laisser aller !
Vous êtes-vous senti à l’aise dans le rôle de chanteur ?
Je ne sais pas chanter, mais je sais parler. Du coup, j’ai pris ma voix et je l’ai laissé avancer à sa guise… Je ne voulais surtout pas tomber dans l’imitation, faire bêtement comme les autres. Tout s’est fait spontanément : je n’ai jamais penser aux notes ni au fait que ça marche ou pas. J’avais quand même deux personnes à mes côtés pour composer les morceaux (NDLR : Angela Aux et Sam Irl). Ils m’ont laissé pas mal de liberté, avec quelques limites. Parfois, ils me disaient « stop, là, ce n’est plus possible ! ». Je n’ai, par exemple, pas pu faire des chansons de dix minutes (il rit).
Justement, la musique est assez dépouillée. Est-ce pour laisser de la place aux mots ?
Il a fallu trouver un équilibre : ce devait être de la musique sans que les mots ne perdent de leur poids. D’où ce son un peu léger, sans prétention. Il faut savoir que les textes étaient écrits bien avant la musique. Du coup, en studio, il fallait faire preuve de flexibilité et d’improvisation. C’était un peu du bricolage ! On mettait de côté un refrain, on rajoutait des rythmes… Pour moi, ça marche. Après, si on n’est pas habitué à ce style, oui, on va vite dire que l’album est merdique. Moi, je pense qu’il vaut le coup et qu’il faut prendre le temps de s’y immerger pour le comprendre.
Il y a des mots, mais aussi différentes langues, avec lesquelles vous jonglez. Pourquoi ?
Ma langue première est l’allemand, je suis né au Luxembourg, j’ai des connaissances en italien et j’aime l’anglais. Je me suis toujours laissé beaucoup de liberté avec ça, passer d’une langue à une autre sans se freiner. C’est d’autant plus vrai avec ce disque, où l’ambiance est importante. Ce qui colle bien à l’atmosphère, on le prend. La réflexion s’arrête là.
Je ne voulais surtout pas tomber dans l’imitation, faire bêtement comme les autres…
Pouvez-vous définir l’humeur de cet album ?
On part d’une peur qui sclérose et on avance doucement vers une sorte de libération. Ce disque est finalement à l’image de la vie : oui, il y a des choses importantes qu’il faut prendre en compte, mais cela n’empêche pas, bien au contraire, de s’amuser, de danser. Bref, prendre les choses au sérieux sans se prendre trop au sérieux.
L’atmosphère y est sombre, quand même…
Oui, sûrement, mais sans cynisme. Et ça, c’est une évolution ! Un ami m’a dit un jour : « on a l’impression que tu dis toujours non à tout, que tu t’en moques, alors que dans la vie de tous les jours, ce n’est pas le cas ». Ça m’a fait réfléchir vis-à-vis d’une authenticité que je voulais mettre en avant. Je ne voulais pas jouer un rôle juste pour marquer le coup. Oui, le cynisme est un bel outil, mais il mène rarement loin.
À vos côtés, derrière le micro, on trouve Maz et Jackie Moontan. Pour ce premier disque, était-ce important de se sentir accompagné ?
Oui et non. J’aime bien, en effet, la compagnie de personnes que j’apprécie, ce qui est le cas pour Maz et Jackie Moontan, avec lesquels je me sens artistiquement connecté, même si on fait des choses différentes. Après, j’aime également travailler seul. Leur présence ici tient à une ambiance : le côté sombre, triste, assez récent chez Maz, s’accommodait bien au titre Forever Fan.
Idem pour Jackie Moontan avec le dernier morceau plus sexuel, plus vivant (Infinity Ohne Pool). Pour le live, j’ai aussi un multi-instrumentiste qui m’assiste (Johannes Oberauer).
Cette compagnie, ça doit en tout cas changer de la solitude de l’écrivain, non ?
Absolument. Il y a côté romantique persistant, dans le regard des autres, du métier d’écrivain. On est seul, libre et blablabla… Ça peut être en effet sympathique, mais une fois que le livre est fini, on reste seul et cette solitude peut être pesante. Aujourd’hui, j’ai des répétitions, des concerts… Bien sûr, ça exige parfois de trouver des solutions à deux, trois, quatre personnes. Mais c’est franchement plus agréable.
Jouer ce disque sur scène, était-ce une évidence ?
Oui. Encore une fois, avec le livre, les retours sont minces. Là, sur scène, on a une vraie résonance, on peut discuter avec le public, raconter pourquoi on a fait tel ou tel choix… Les morceaux vivent, changent à chaque concert. C’est génial !
Comme ce live va-t-il se construire ?
Les chansons vont être différentes par rapport à l’album, plus offensives, plus directes. À quoi bon, sinon, jouer ? Ou alors, je mets le disque dans la chaîne et j’appuie sur play… Après, je me concentre aussi beaucoup sur le contenu : mon but reste de raconter une histoire et pas d’en mettre plein la vue avec des lumières et des vidéos.
En 2022, cette histoire pourrait-elle s’accompagner d’un groupe ?
J’aimerais bien oui. Mais ce n’est pas qu’une question d’envie, mais aussi de temps et d’argent. Et l’un est plus facile à contrôler que l’autre (il rit).
Entretien avec Grégory Cimatti
«Release show»
Opderschmelz – Dudelange.
Samedi 27 novembre à 20 h.
Special guest : Maz