Depuis leur tendre enfance, Melissa et Andy se sont aimés de loin, à travers les lettres qu’ils se sont écrites. C’est Love Letters, l’histoire de deux vies qui se racontent dans une célébration du geste écrit. À voir sur la scène du TOL, à Luxembourg, jusqu’au 12 février.
Écrite à la fin des années 80 et traduite dans plus d’une trentaine de langues, Love Letters, pièce d’A. R. Gurney, met en scène deux personnages que le destin a tenus à distance malgré une attirance mutuelle. Deux «aimants» amis, amants et confidents, réunis au travers d’échanges épistolaires.
Qui n’a pas écrit ou reçu au moins une lettre d’amour dans sa vie? Celle fait de mots griffonnés d’écoliers, maladroits, avec ratures et taches d’encre sur feuille quadrillée. Celle, aussi, des déclarations d’amour adolescentes, aux cœurs pour remplacer les points, au papier à l’odeur de framboise et à l’écriture déliée couleur turquoise. Celle, enfin, des courriers d’adultes, où les élans poétiques et ardents côtoient souvent les peines de cœur, entre cris sourds et larmes qui diluent l’encre…
Un décor foutraque
À l’heure du tout numérique, du SMS à la va-vite et de la culture du spontané, Love Letters paraît d’une autre époque. Pourtant, cette pièce est jouée aux quatre coins du monde, et même beaucoup plus près, à Esch-sur-Alzette, il y a quatre jours, avec le duo Francis Huster-Cristiana Reali. « Le hasard du calendrier », rigole Marion Poppenborg, metteur en scène de cette nouvelle mouture, précisant qu’au TOL, on risque d’assister « à autre chose ». Pas d’ambiance «bourgeoise» en effet ici, mais un décor foutraque, composé de feuilles de papier froissées, épinglées et dispersées ici et là.
Une correspondance épistolaire, un message universel
L’histoire – « très bien écrite », précise Véronique Fauconnet, l’une des interprètes – reste la même : celle de Melissa et Andy, dont la relation débute en 1935, quand la première, âgée de 8 ans, invite le second à son anniversaire. S’ensuivent 50 années durant lesquelles ils vont se côtoyer, s’éloigner, s’aimer passionnément, se séparer sans jamais rompre ce lien qui les unit, à savoir une correspondance épistolaire, intime, piquante et tendre.
Volontairement, Marion Poppenborg a éludé l’ancrage géographique (les États-Unis) afin d’éviter une « pièce trop américaine ». Et en l’absence de fil chronologique – « C’est la carrière politique d’Andy, qui va finir en sénateur, qui permet finalement d’avoir un suivi », précise le comédien qui l’interprète, Frédéric Frenay – Love Letters s’appuie sur un message « universel » : « Cette pièce s’interroge sur les questions d’amour et d’amitié. Comment ça se connecte et comment ça se perd? », poursuit la metteur en scène.
« Cette pièce ne peut laisser indifférent »
Pourtant, ce duo, qui s’écrit pour se rapprocher, provient de mondes bien distincts. L’une, «artiste ratée », est attirée par le « côté charnel » de la relation, tandis que l’autre, qui semble avoir tout réussi, professionnellement parlant, privilégie l’aspect intellectuel et poétique de cette union à distance. « C’est ce qui fait la beauté et la pureté de leur passion, intervient Frédéric Frenay. Leur symbiose ne s’explique pas. Ce sont deux aimants qui n’arrivent pas à se défaire .» Amis de toujours, mais aussi amants de quelques jours, ils n’ont ainsi cessé de penser l’un à l’autre. « Ce sont deux entités qui se complètent très bien », appuie Véronique Fauconnet.
Ainsi, au fil des échanges, souvent drôles, parfois désespérés, le spectateur, « trait d’union entre les deux personnages », perçoit les méandres de leur vie, l’ambition, le désir, les réussites, les échecs, les non-dits, les drames, les rires… Témoin de ces décennies d’amour, de l’amitié taquine de l’enfance à la complexité des sentiments mêlée aux espoirs et désillusions de l’âge adulte, en passant par la passion adolescente, il se trouvera intimement lié à ce récit, miroir de sa propre vie. « Cette pièce suggère des émotions. Elle ne peut laisser indifférente », explique Marion Poppenborg.
« Une lettre, c’est quelque chose de très beau »
Love Letters , c’est aussi une pièce en équilibre entre deux époques. Frédéric Frenay : « En bout de course, elle devient même contemporaine. On parle ici des soucis de communication. Et l’on peut clairement se demander : qu’est-ce que l’échange amoureux au temps des SMS et de Snapchat? » On ressent chez lui un brin de nostalgie lorsqu’il évoque la correspondance qu’il a développée avec sa femme. « Chez nous, on a encore un tas de lettres dans une petite boîte. On est peut-être la dernière génération à transmettre cela .» Et s’il reconnaît ne plus trop écrire, il fait aujourd’hui une fixation sur les stylos, « sorte de prolongement de soi ».
Même élan du cœur chez Véronique Fauconnet : « Une lettre, c’est quelque chose de très beau. Entre le choix du papier, celui de l’encre, la forme des lettres et le ton, elle indique beaucoup de choses. » Reste que sur scène, le duo est confronté à deux défis : d’abord interpréter un texte, feuille en main, sans que le public n’ait l’impression d’assister à une lecture. Ensuite, jouer sans se regarder, ni trop interagir, en respectant cette notion de distance impliquée par la correspondance. « C’est bizarre », témoigne laconiquement Frédéric Frenay. Plutôt « frustrant », pour la comédienne. « D’habitude, quand on joue, l’autre vous aide beaucoup. C’est un ressort! Là, je ne le touche pratiquement jamais de toute la pièce. C’est un exercice de style .»
Grégory Cimatti
Love Letters, au TOL – Luxembourg. Jeudi 14 et vendredi 15 janvier à 20h30. Les 21, 22, 23, 27, 28 et 29 janvier, ainsi que les 3, 4, 5, 11 et 12 février à 20h30. Le 31 janvier à 17h30. Lien vers la billetterie.