Cette semaine, on se penche sur Live at Montreux Jazz d’Anna von Hausswolff. L’album de rock expérimental / post-metal est sorti le 14 janvier, sur le label Southern Lord Records.
Genre Anna von Hausswolff fait-elle peur ? Une question qui n’a pas vraiment de sens quand on découvre la frêle musicienne âgée de 35 ans, connue jusqu’alors pour ses prouesses derrière les orgues d’église à tuyaux, qu’elle combine avec un rock racé, sombre et tumultueux. Pourtant, début décembre de l’année dernière, à Nantes, des catholiques radicalisés se sont farouchement opposés à son concert qui devait se dérouler à Notre-Dame-de-Bon-Port, à grands coups de prières, de blocage, de messages haineux et de menaces.
Dans la foulée, ses trois prestations à Paris et à Bruxelles, en péril, n’ont pu se tenir que grâce à l’entêtement des organisateurs, obligés de tenir le lieu secret jusqu’au dernier moment et de s’appuyer sur la police face à cette oppression en robe de bure d’un autre temps. La raison derrière cette agitation ? L’artiste suédoise évoque dans une de ses chansons, Pills, l’addiction à la drogue et dit avoir «fait l’amour avec le diable», dans un sens métaphorique qui a apparemment échappé à ces fondamentalistes.
Précisons que le titre controversé ne figurait pas au programme desdits concerts, uniquement instrumentaux, comme l’est son dernier disque studio en date, All Thoughts Fly (2020), aux solos orageux. On ne le retrouve pas non plus sur ce live, enregistré en 2018 au prestigieux festival de Montreux (qui, précisons-le, ne fait pas que dans le jazz), et dans lequel on retrouve, ô joie, sa voix puissante et son groupe tapageur (dont sa sœur Maria ainsi que des membres de son projet BADA), réunis autour de six anciens morceaux retravaillés pour l’occasion, issus de deux anciens albums à la sombre beauté : The Miraculous (2015) et Dead Magic (2018).
En dehors d’une ouverture pop faussement pétillante, Anna von Hausswolff est à la hauteur de sa réputation, qui la place aujourd’hui aux côtés d’autres incendiaires au rock venimeux (avec qui elle collabore d’ailleurs), comme Swans, Sunn O))) ou encore Nick Cave – dont elle assurait ici la première partie et déroulait le tapis rouge pour les ballades meurtrières des Bad Seeds. Et à l’écoute des forces sauvages qui agitent sa musique, on n’est presque plus surpris – sans la tolérer – de la réaction des manifestants.
Oui, chez elle, il y a quelque chose de menaçant. Ses salves sonores vont en tout cas dans ce sens, que l’on évoque l’usage d’un accord unique, lourd et distordu, qui se perd en écho jusqu’au bout de la nuit, ces longs passages de drone inquiétant ou ces guitares abrasives en mode «doom». Histoire d’en rajouter une couche, Anna von Hausswolff, à la virtuosité vocale, coupe parfois l’atmosphère, déjà pesante, d’un grognement, d’un cri ou d’un rire sardonique du plus bel effet.
Que les plus entêtés et bas du front se rassurent : il n’y a rien de diabolique chez la Suédoise ! Avec la musicienne, on est dans le jeu, la mise en scène théâtrale, avec ses grosses orgues qui prennent toute la place, posant les bases d’une cérémonie intense et sincère : celle célébrant l’opéra rock et sa démesure. Avec Anna von Hausswolff, elle prend la forme d’un véritable drame gothique tout en tension.
D’ailleurs, il est bon de se demander dans quel état est sorti le public suisse après ce rouleau compresseur de plus d’une heure. Entre les multiples couches d’instruments qui s’étirent encore et encore, la subtilité des harmonies, ce chant envoûtant et des passages chaotiques (pour ne pas dire dissonants), l’album laisse en effet peu de place au souffle et à la respiration. Reste derrière les claviers cette frimousse blonde à la grâce certaine, à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession.