Dans une petite rue calme derrière Westminster Abbey, gardée par de magnifiques maisons géorgiennes du 18e siècle, Garry Usher grimpe sur son échelle, remonte la minuterie du réverbère en gaz et polit le verre d’un geste attentionné et précis.
Avant l’introduction des lampadaires, les rues de Londres pouvaient être périlleuses à la tombée de la nuit… (Photos : DR)
De retour au sol, il contemple avec satisfaction la lumière douce et chaude qui émane du lampadaire et perce le froid d’une nuit d’hiver londonienne.
Malgré les coupes budgétaires et les économies réalisées sur l’éclairage public, dont l’intensité a été baissée, la capitale britannique compte toujours 1 500 réverbères à gaz nécessitant une intervention humaine à intervalles réguliers. Ce sont les derniers vestiges des dizaines de milliers de lampadaires déployés dans la ville il y a plus de 200 ans, une merveille de technologie moderne qui avait donné vie à des centaines de rues jusque-là obscures, malfamées et dangereuses.
Aujourd’hui, la plupart des Londoniens n’ont même pas conscience de l’existence de ces témoins d’une autre époque. Mais les autorités les protègent, au point d’en installer des nouveaux, comme c’est le cas près du marché couvert de Covent Garden.
Les réverbères anciens sont aussi la seule source de lumière la nuit à St James Park, à côté de Buckingham Palace, où ils replongent les passants dans le Londres de Charles Dickens. « Ils sont très beaux et offrent un éclairage magnifique, moins brutal que l’électrique », souligne Usher, 50 ans, qui dirige une équipe de quatre allumeurs de réverbères. La moitié des lampadaires à gaz continuent à fonctionner avec un minuteur mécanique qui nécessite d’être remonté à la main toutes les deux semaines. Les autres ont un compteur automatique dont il faut changer la batterie tous les six mois, sans compter d’autres travaux de maintenance. « On touche à l’histoire à chaque coin de rue, c’est un travail privilégié », estime Usher.
> L' »Iron Lily », toujours debout
Avant l’introduction des lampadaires, les rues de Londres pouvaient être périlleuses à la tombée de la nuit. On pouvait certes se payer les services d’un « link boy », ces garçons portant une torche, pour vous guider à travers l’obscurité. Mais au risque qu’il vous mène tout droit dans une embuscade.
La première démonstration à Londres d’un éclairage public au gaz a eu lieu en 1807. Les réactions furent d’abord mitigées, ne serait-ce qu’à cause des quelques explosions causées par une technologie seulement en voie d’être maîtrisée. Mais lorsque le roi George IV a exigé leur installation en masse en 1814, les lampadaires ont commencé à pousser comme des champignons.
Certains, outre leur qualité d’éclairer, avaient également pour fonction de brûler les émanations de méthane remontant des égouts, telle la fameuse « Webb Sewer lamp ». L’un d’eux, baptisé « Iron Lily », est toujours en service, à côté du Savoy Hotel, non loin de la Tamise. Endommagé par un camion en 1950, il a été restauré dans toute sa splendeur.
De nombreux réverbères ont continué à être allumés et éteints à la main jusque dans les années 1970. Ils ont survécu aux bombardements nazis pendant le Blitz et ont longtemps résisté à leurs concurrents électriques. Aujourd’hui, leur principal ennemi est le trafic automobile. La plupart ont été surélevés pour mettre leur lanterne hors d’atteinte des rétroviseurs des bus ou des camions. Mais les dégâts demeurent considérables. Pour autant, il n’y a « aucune chance que ces lampadaires disparaissent », assure Iain Bell de British Gas, la compagnie chargée de leur maintenance. « C’est même le contraire vu les appels qu’on reçoit pour en implanter davantage », souligne-t-il.
AFP