Après Fifty Shades of Grey, voici le prochain raz-de-marée de l’édition : Maestra, de L. S. Hilton. Un thriller érotique atypique, relèguant la trilogie d’E. L. James au rang de gentille bluette. Le buzz est déjà en route !
Une sortie mondiale simultanée dans trente-cinq pays, le 10 mars. Un texte dont les droits sur grand écran sont déjà achetés par Hollywood pour deux millions de dollars et qui sera adapté par la productrice de Millenium . Une auteur qui lance dans un quotidien londonien : « Les autres femmes me haïssent d’être aussi sexy » et qui, à 41 ans, met le monde (pas seulement du livre!) à ses pieds… Oui, il y a du phénomène d’édition, et aussi de société, dans l’air depuis la sortie de Maestra , nouveau roman et premier volet d’une trilogie de L. S. Hilton, née à Liverpool le 15 décembre 1974.
On nous promet «le thriller le plus scandaleusement original que vous lirez cette année», rien de moins… Un thriller érotique, un policier polisson qui mêle le noir et le rose. Une autre promesse : Maestra va encore plus loin que le «sulfureux» Fifty Shades of Grey . Une certitude : le roman de L. S. Hilton est à ranger dans la catégorie «mummy porn» (lire ci-dessous), même si l’auteur s’en défend, elle qui est connue dans le monde des livres comme diplômée d’Oxford et historienne spécialiste de la Cour royale des XVII e et XVIII e siècles français. Quand même…
Lors de la campagne de lancement, la jeune femme blonde britannique a précisé qu’elle a changé son prénom Lisa pour les initiales L. S. pour éviter la confusion entre l’historienne et la romancière. Elle a aussi confié une anecdote sur Maestra et le courrier qu’elle a reçu d’une éditrice à qui elle avait adressé le manuscrit, le qualifiant de «littérature pornographique dégueulasse». Shocking!
«C’est ça, le vrai pied, pour moi»
Premières phrases du prologue : «Le claquement de la soie et de nos talons féroces a retenti dans le couloir. Un brouhaha sourd indiquait que les hommes étaient déjà de l’autre côté de la double porte. La pièce, meublée de petites tables, de canapés et de fauteuils, était éclairée aux chandelles. Les hommes portaient d’épais pyjamas de satin noir sous des vestes à brandebourgs, dont la trame lustrée rehaussait le blanc empesé de leurs chemises…»
Donc, nous voilà embarqués dans les pas de Judith Rashleigh, jeune femme diplômée et talentueuse. La journée, elle bosse comme assistante dans un hôtel de ventes aux enchères à Londres et se considère mal reconnue au vu de ses qualités et compétences. La nuit, on la retrouve dans un bar à hôtesses – ça fonctionne plutôt pas mal pour elle qui, ravissante, séduit sans se forcer. Et puis, elle a tout compris : tant au boulot qu’au bar à hôtesses, pour avancer, elle doit être une gentille fille. Jusqu’au jour où elle tombe sur une escroquerie sur une toile de maître – conséquence : avant même de pouvoir révéler le scandale, elle est virée…
Alors, Judith part, direction la Côte d’Azur avec un riche client. Sur les bords de la Riviera, un monde l’attend où décadence et corruption font bon ménage. Un monde où elle, hier la gentille fille, va se venger et devenir une femme fatale… Et L. S. Hilton, de mêler du rose au noir. Extrait tout en poésie (!) : «Allongée là, le souffle profond, une jambe tombée par terre, je sentais mon clitoris humide qui palpitait encore. C’est ça, le vrai pied, pour moi. Pas seulement le plaisir de la chair, mais le sentiment de liberté et d’invulnérabilité que je retirais à me faire écarter les cuisses et baiser par un parfait inconnu…»
Grande différence entre Fifty Shades of Grey et Maestra que certains ont mis dans la même catégorie : dans le premier, l’héroïne est une femme soumise, dans le second, en pleine possession de sa féminité et de sa sexualité, Judith dirige les opérations! Ah! Judith, elle qui rappelle tant et si bien les beautés vénéneuses des films noirs hollywoodiens. Elle a, en tout cas, l’allure de la riposte féministe au livre d’E. L. James.
Serge Bressan
Maestra , de L. S. Hilton. La Bête noire/Robert Laffont.
Quand le « mummy porn » fait le buzz
Toujours avisés quand il faut faire du business, les Anglo-Saxons ont inventé un genre littéraire : le «mummy porn». En français, ça se traduit par le «porno pour maman» ou encore pour la ménagère de 50 ans, la «housewive». Ainsi, avant Maestra était arrivé en 2012 Fitfty Shades of Grey , d’E. L. James. Un livre puis un film, au top des best-sellers et au box-office, qui se sont traduits par des millions de dollars pour l’auteur britannique…
Elle a répété avoir été surprise par le succès de ses textes, ajoutant avoir été inspirée par la saga Twilight . Et d’ajouter avoir voulu faire vivre une histoire d’amour follement érotique (avec scènes très hot dedans) à deux personnages pris d’une passion dévorante, et défini sa cible de lectrices : les mamans, évidemment… Ce qui n’est pas non plus une surprise, c’est que Grey et ses avatars ne présentent pas un grand intérêt littéraire – l’écriture et le style laissant à désirer, et le fond sonnant bien creux.
Mais cyniquement, les éditeurs anglo-saxons prétextent que la femme, surtout américaine, est «prude», avec une éducation sexuelle rigide. Et l’ancienne actrice X et aujourd’hui réalisatrice française Ovidie rappelle qu’il y a une bonne poignée d’années, un livre avait été publié outre-Atlantique enseignant aux Américaines le meilleur moyen de garder leur mari. « L’ultime conseil de ce bouquin? Faire une fellation à son homme! » Quant à la documentariste new-yorkaise Therese Shechter, elle explique : « Aux États-Unis, la sexualité n’est abordée que via le porno hardcore ou la télé-réalité : c’est une sexualité manufacturée. La vraie sexualité est passée sous silence… »
Chez les éditeurs francophones, même si attend de grosses ventes de ces livres, on sourit en rappelant avec plaisir que, depuis plus de vingt ans, des écrivains comme Françoise Rey ou encore Jeanne de Berg, avec le culte Cérémonies de femmes (1985), ont fait fantasmer les lectrices (et les lecteurs!) – sans oublier les auteurs classiques qui ne se sont pas privés d’écrire sur la chose en des temps où le «mummy porn» n’existait pas.
Encore Ovidie : « La curiosité sexuelle des Françaises, des Belges ou des Luxembourgeoises perdure. Elles ne s’ennuient pas et ne se sentent pas enfermées dans leurs pratiques, elles n’ont pas besoin d’un nouveau divertissement accessible sur ce plan. Et ce « mummy porn », on l’a importé pour mettre des mots sur un comportement déjà courant pour les mamans. Mais, franchement, il n’y a point de révolution à l’horizon! »
S. B.