L’Euro de football débute ce vendredi. L’occasion de regarder autrement ce jeu de ballon à travers quelques livres, comme celui, excellent, du journaliste italien Gigi Riva (homonyme du célèbre joueur) : Le Dernier Penalty.
Rédacteur en chef de l’hebdomadaire L’Espresso, Gigi Riva revient dans ce livre mélancolique sur un quart de finale de la Coupe du monde de 1990. La Yougoslavie affronte l’Argentine et perd. Comme l’équipe qui implose ce soir-là, bientôt la Yougoslavie n’existera plus, le pays sera déchiré par la guerre civile…
Près de 26 ans plus tard, la question demeure : et si, en l’été 1990, la Yougoslavie avait battu en quart de finale de la Coupe du monde l’Argentine de Diego Armando Maradona, le pays aurait-il explosé? Et si, surtout, à l’issue du temps réglementaire et des prolongations, durant la séance de tirs au but, Faruk Hadzibegic, Bosniaque de Sarajevo, 32 ans et joueur du FC Sochaux à l’époque, n’avait pas manqué sa tentative? Et si ce match avait donné un autre résultat?
C’est toute l’histoire d’un formidable roman, Le Dernier Penalty de l’Italien Gigi Riva, rédacteur en chef de l’hebdomadaire L’Espresso , passionné de football et homonyme d’une star de la Squadra Azzura dans les années 1960-1970. Sous-titre du livre de Riva publié, en VF : «Histoire de football et de guerre». Et ce 30 juin 1990 qui a pourri la vie de Hadzibegic, alors capitaine de la Yougoslavie. Le dernier penalty, celui qui, réussi, aurait tout changé. Celui que le gardien Sergio Goycochea a, ce jour-là, arrêté…
« Dans les Balkans, dire que le sport est comme la guerre n’est pas une métaphore. La guerre est la continuation du sport par d’autres moyens. »
Gigi Riva
Riva écrit : «Vingt-cinq ans après le sien, d’épisode, Faruk (NDLR : entraîneur du club de Valenciennes depuis janvier 2016) est un bel homme qui va sur ses 60 ans. Il a gardé le physique de l’athlète, des cheveux encore noirs, juste un peu plus clairsemés sur le front et les tempes… le pas rapide de qui a un avenir à assumer dans la seconde vie qu’il a dû s’inventer après le naufrage de la première à Florence.»
«Le football est une chose trop sérieuse»
Ce jour de juin 1990 à Florence, on n’avait pas assisté à un simple match de football – le penalty manqué par Faruk Hadzibegic devenait soudain une histoire de football et de guerre. Le symbole, le déclencheur de l’éclatement d’un pays. Certes, et Riva ne manque pas de le rappeler, l’explosion de la Yougoslavie, «une idée romantique à l’agonie» alors, bruissait depuis quelque temps – dix ans après la mort du dirigeant Tito, la fédération socialiste n’était maintenue à flot qu’à coups d’illusions. Ainsi, ça avait chauffé fort lors d’un match entre le Dynamo Zagreb et l’Étoile Rouge de Belgrade. Dans le stade, les supporters avaient déployé des banderoles avec des slogans identitaires et créé une émeute.
Lors du Mondial-1990, Croates et Serbes jouaient sous le même maillot, celui de la Yougoslavie – ce fut la dernière fois, une fin précipitée par le dernier penalty… Dans les mois qui suivirent, tant et tant de supporters devinrent les miliciens d’une guerre civile. Une guerre durant laquelle les nationalismes se sont affrontés dans le sang, sous les bombardements. En passionné de football mais aussi en fin connaisseur de la géopolitique, Gigi Riva ne manque pas de noter que l’Europe a fait preuve d’une grande passivité face à cette guerre fratricide, lointaine et si proche.
Pis, dans cette histoire de football et de guerre, pour l’écrivain et journaliste italien, l’Europe a perdu une bonne partie de son âme. Quelque temps après ce match, Diego Armando Maradona, le génie argentin des années 1980-90, lancera : « Occupe-toi de politique internationale. Le football est une chose trop sérieuse. » Faruk Hadzibegic, lui, n’a jamais été star mais en manquant un tir au but, c’est la grande histoire qu’il a fait basculer…
Serge Bressan
Le Dernier Penalty, de Gigi Riva. Seuil.