Peintre vivant le plus cher du monde, le Britannique David Hockney s’est installé, à 83 ans, en France, dans un village de Normandie. Un livre raconte, en mots et images, son œuvre. Une expo (virtuelle) montre son escapade normande.
David Hockney est né le 9 juillet 1937 dans la ville de Bradford, dans le Yorkshire, il est le quatrième de cinq enfants. Son père Kenneth travaille pour un comptable et demeure pacifiste même en temps de guerre. Sa mère Laura est méthodiste et végétarienne. Ils vivent dans des conditions modestes», lit-on en ouverture de David Hockney. A Chronology, le tout récent (et magnifique) livre consacré au peintre britannique le plus célèbre (et le plus cher, du côté des salles de ventes) de l’époque. Un jour, la télé allemande a même affirmé : «David Hockney a écrit – et plus encore, peint – une œuvre unique dans l’histoire de l’art.» Il est encore tout gamin quand il publie ses premiers dessins dans le journal de son école, il dessine des posters pour des évènements de la ville. À 13 ans, il entre à la Junior Art School de Bradford, il enchaîne avec la Bradford School of Arts et commence à peindre des extérieurs, et en 1955, il peint un portrait de son père. Souvenir : «Mon père avait acheté la toile, il a installé mon tableau sur un chevalet à roulettes et mis des miroirs tout autour pour en voir toutes les nuances…»
Aujourd’hui à 83 ans, David Hockney est le peintre vivant le plus cher du monde. Interrogé sur la signification de ses tableaux, il dit simplement : «C’est juste ce que je vois.» Une autre fois, il avait confié : «Je peins de mémoire.» Très vite, pour Catherine Cusset, l’auteure de Vie de David Hockney, «il a été un artiste qui ne fait pas de compromis sur son désir». Et dans David Hockney. A Chronology, Hans Werner Holzwarth passe au scanner des années l’œuvre du peintre, ses thématiques, son évolution; cet art pictural tout en liberté et passion, cet art qui, en 2018, a fait de lui le recordman des artistes vivants avec une toile vendue 90,3 millions de dollars (environ 75 millions d’euros) chez Christie’s, à New York. Achevé en mai 1972 et aussi iconique que A Bigger Splash (1967), le tableau de 2,13 m sur 3,05 m, Portrait of an Artist (Pool with Two Figures) a détrôné Balloon Dog (Orange) de Jeff Koons, vendu 58,4 millions de dollars (environ 48 millions d’euros) en 2013… Mais rien des 90,3 millions de dollars de la vente n’est allé à David Hockney : en 1972, il avait vendu le tableau pour à peine plus de 20 000 dollars. De son côté, Alex Rotter, le coprésident de l’art contemporain, confiera, après la vente record : «J’espère qu’il est heureux et satisfait. Mais c’est un artiste. Il n’a pas besoin qu’on lui dise qu’il est formidable. Il le sait.»
Comme des idiots, nous avons perdu notre lien avec la nature alors même que nous en faisons pleinement partie
En avril 2010, David Hockney, tenu pour l’un des maîtres du pop art, achète un des premiers iPad, «parce que l’écran est bien plus grand que celui du téléphone. J’ai conseillé à mes amis d’en acheter également, ainsi je peux leur envoyer mes dessins», rapporte Hans Werner Holzwarth. Et puis, une nouvelle vie pour le résident de Los Angeles : en 2019, il visite le musée de Bayeux, en Normandie, il est venu y revoir la célébrissime tapisserie. Lui vient alors l’idée de quitter la Californie pour venir s’installer dans la campagne normande et d’y peindre l’arrivée du printemps. Il acquiert une maison à colombages à Beuvron-en-Auge (Calvados), un village de 191 habitants, y passe le confinement lié au Covid-19 avec ses deux assistants, Jean-Pierre et Jonathan, et de son petit chien Ruby, et peint pas moins de 110 tableaux. Sur le premier réalisé sur une tablette graphique, quatre jonquilles sur un tapis d’herbe vert tendre, titré Do remember they can’t cancel the spring («Souvenez-vous bien qu’ils ne peuvent annuler le printemps»).
Avec cette escapade normande, une galerie parisienne monte «Ma Normandie», une expo que, à défaut d’admirer physiquement, on peut découvrir en virtuel. Par exemple, The Entrance, tableau magnifiant l’art figuratif avec cette route mauve bordée de pommiers et menant à une maison à colombages… Peintre star des piscines et jeunes gens aussi attirants que broyés par les chagrins d’amour, Hockney s’est, à 83 ans, mué en «gentleman farmer» de la peinture. Et, émerveillé par le miracle de l’éternel recommencement qu’offre la nature, il confie : «Comme des idiots, nous avons perdu notre lien avec la nature alors même que nous en faisons pleinement partie. Tout cela se terminera un jour. Alors, quelles leçons saurons-nous en tirer ? J’ai 83 ans, je vais mourir. On meurt parce qu’on naît. Les seules choses qui importent dans la vie, ce sont la nourriture et l’amour, dans cet ordre, et aussi notre petit chien Ruby. J’y crois sincèrement, et pour moi, la source de l’art se trouve dans l’amour. J’aime la vie.»
De notre correspondant à Paris, Serge Bressan
«C’est un artiste extrêmement libre»
En 2018, la romancière française Catherine Cusset publiait Vie de David Hockney (Gallimard). Elle précisait : «Ce livre est un roman. Tous les faits sont vrais.» Entre biographie et roman, cette vie du peintre britannique passé par Los Angeles avant de s’installer, en 2019, dans un village de Normandie, a été définie très tôt : quand, adolescent, David Hockney annonce : «Je veux devenir artiste.» Dans une émission radio, Catherine Cusset a raconté «son» Hockney. Morceaux choisis.
«J’ai commencé à lire énormément de choses sur David Hockney. Je suis rentrée dans la peau, dans la tête, dans le personnage. Et ce qui s’est écrit c’est quelque chose de l’ordre de la biographie et du roman en même temps. Je réinventais le personnage à partir de ce que j’avais lu de lui.»
«C’est un artiste extrêmement libre. Quand on écrit, quand on crée, quand on est artiste, c’est qu’on a “une vision”. C’est fragile, une vision, on a des moments de doute. Si on vous dit que ce que vous faites est mauvais, n’est rien, que c’est de la littérature de gare ou que c’est de l’art pour des enfants de huit ans, ce n’est pas facile de garder sa vision. C’est ça qui m’intéresse chez David Hockney, c’est ce qui résiste.»
«C’est un homme qui travaille énormément. Peindre, c’est une passion. Qu’est-ce que c’est, en fait, peindre ? D’où naît l’idée du tableau ? Je me suis vraiment posé la question dans ce livre. Ça naît d’une vision, du rapport à l’espace. Le regard de l’artiste, c’est la capacité à composer, à partir du monde, à partir de rien. C’est la vision, et c’est l’ouverture à la vision.»
«La notion de plaisir est essentielle dans la vie de David Hockney. Un de ses professeurs, au collège, lorsqu’il est jeune, lui dit : “Tu sais David, si tu veux devenir un peintre sérieux, il faut que tu te débarrasses de ton image de clown.” Finalement, c’est quelqu’un qui s’en est tenu toute sa vie à ce qu’il voulait. Peindre des paysages – c’est un genre qui est mort lorsqu’il se met à peindre le paysage – peindre des chiens – il a peint une série de tableaux de ses teckels – il faut du courage, ça fait kitsch quand même ! Il n’a pas peur.»