Retrouvez la critique littéraire de la semaine.
Il est des mots et des qualificatifs que les bien-pensants de la chose écrite honnissent. Ainsi, «littérature populaire». Qu’importe si c’est là un genre pratiqué au XIXe siècle tant par Balzac que Zola et Dumas. Aujourd’hui encore, les pratiquants dudit genre sont regardés avec condescendance, dédain ou mépris – toutefois, il arrive que l’Académie Goncourt accorde son prix à un roman relevant de cette littérature. Ce qui se passa en 2013 quand elle récompensa Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre. Lequel, en ce début d’année nouvelle, rafle les premières places des ventes en librairies avec Un avenir radieux, troisième tome de sa tétralogie «Les Années glorieuses» après Le Grand Monde (2020) et Le Silence et la colère (2023).
Riche d’une belle œuvre en construction, l’auteur demeure fidèle à la famille Pelletier, fil rouge de cette saga qui court au long des années glorieuses. Pour décor, cette fois, la période courant de 1959 à aujourd’hui – et Lemaitre de confier qu’il s’agit là d’un roman autant historique que d’espionnage et d’aventure(s). L’éditeur a résumé l’histoire : «Une échappée belle de Paris à Prague, d’un studio de radio à des ruelles hostiles, d’un cachot glacé à une académie de billard, d’une école de bonnes sœurs aux bureaux obscurs de la République. Chacun des Pelletier, à son heure, devra choisir entre son intérêt et son devoir, et pour certains entre la raison du cœur et la raison d’État. Un dilemme parfois déchirant, sauf pour le chat Joseph, qui lui a choisi depuis longtemps.»
Lemaitre confie qu’il s’agit là d’un roman autant historique que d’espionnage et d’aventure(s)
On détaille : le 19 avril 1959, dans une grande maison au Plessis-sur-Marne, à une trentaine de kilomètres de Paris, Colette (fillette attachante qui s’apprêterait à mettre le feu à une grange, et troisième génération des Pelletier…) est avec ses grands-parents qui ont quitté le Liban et leur savonnerie. On va y retrouver toute la famille : Jean surnommé «Bouboule», sa femme Geneviève et leur fils Philippe, leur «petit Dieu»; François et son épouse Nine; Hélène mariée à Lambert… Jean va partir pour Prague, alors capitale de la très communiste Tchécoslovaquie, avec un groupe d’industriels – il compte bien y faire la promo de ses magasins Dixie, des dîneurs en ville lui disent : «Ils ne laissent entrer personne, êtes-vous certain que vous pourrez repartir?», il leur répond : «Nous sommes invités par le gouvernement. Ils ne vont pas nous embastiller.»
François, journaliste dans un quotidien du soir et à la télé pour une émission rappelant Cinq Colonnes à la une, est embringué dans une affaire où les services de renseignement et de contre-espionnage le persuadent d’accepter une mission périlleuse de l’autre côté du rideau de fer, à Prague. Pendant ce temps, Geneviève est toujours aussi insupportable tandis qu’Hélène travaille pour une radio où elle «invente» une émission de nuit et discute avec les auditeurs insomniaques – clin d’œil à Macha Béranger qui, de 1977 à 2006, fit les belles nuits de France Inter…
Dans cette France d’après-Seconde Guerre mondiale où l’avenir ne pouvait qu’être radieux – du moins en était-on convaincu («La technologie bienfaitrice, vecteur programmé du progrès, allait devenir une source d’inquiétude dont les premiers concernés resteraient les plus ignorants»), Pierre Lemaitre jongle, tel un feuilletoniste du XIXe siècle, avec les genres. L’aventure, l’histoire, l’espionnage avec des signes appuyés à un maître du genre, John le Carré (1931-2020) et son chef-d’œuvre, La Taupe. Intrigues multiples et suspense sont là, au rendez-vous, sans oublier des touches de féminisme et d’écologie, le tout assaisonné avec une pointe d’ironie. Certes, jamais Pierre Lemaitre n’a prétendu être un grand styliste de l’écriture, les pleins, déliés et arabesques ne figurent pas dans son répertoire mais à nul autre pareil, il sait embarquer lectrices et lecteurs dans une épopée.