Aujourd’hui encore, Susan Sontag (1933-2004) est tenue pour la «dernière star littéraire» américaine. Benjamin Moser vient d’écrire son immense biographie.
Le monde – c’est-à-dire un petit groupe de VIP qui avait l’habitude de dîner chez Elaine’s, un restaurant en vue de l’Upper East Side new-yorkais – a découvert puis honoré Susan Sontag en 1964 quand elle a publié, à 31 ans et après un premier roman, un essai titré Notes on « Camp » (Le Style Camp en français).
La sphère intellectuelle, outre-Atlantique, tient immédiatement ces quelques dizaines de pages pour une «petite bombe révolutionnaire». Et là, jeune femme divinement belle, Susan Sontag devient un phare des idées et des débats… Au fil des années, on la retrouvera engagée pour les causes féministe et homosexuelle, on la croisera sur des terrains de guerre, par exemple, au crépuscule du XXe siècle, à Sarajevo dans une Yougoslavie éclatée…
D’une vie aussi lumineuse que perturbée, marquée par des combats tant personnels que politiques et idéologiques, l’écrivain, journaliste et traducteur américain Benjamin Moser (spécialiste réputé de l’auteure brésilienne Claire Lispector) a écrit une biographie immense, simplement titrée Sontag et récompensée par le prix Pulitzer en 2020. Pour (tenter de) cerner son personnage, Moser a pu accéder, nous précise l’éditeur français, «à de nombreuses archives inédites et à des proches de Sontag qui n’avaient encore jamais parlé d’elle».
Parmi ses proches, sa dernière compagne, la photographe Annie Leibovitz. Ainsi, au plus près de son sujet, Moser évoque un épisode pointé en 1964 : «Susan Sontag monta dans l’ascenseur branlant d’un immeuble de la 47e rue Est et pénétra dans un loft au troisième étage, loué cent dollars l’année. Décoré de papier aluminium et connu sous le nom de « Factory », cet endroit était un avant-poste de guérilla, et le génie qui présidait ce lieu était un certain Andy Warhol.»
Le tour de force d’une biographie tout en empathie mais sans la moindre complaisance
Pour beaucoup, Susan Sontag, c’est d’abord une photo. Une chevelure brune avec une mèche blanche : après un cancer, ses cheveux qui étaient devenus si blancs qu’elle les fit teinter en noir, sauf une mèche, pour ne pas oublier cette pourriture de crabe qui n’avait pas eu sa peau… Mais, en parfait biographe «à l’américaine», Moser n’en est pas resté à cette histoire. Pour lui, Susan Sontag nous ramène «à une époque où les écrivains pouvaient être non seulement respectés mais célèbres. Elle était essayiste, réalisatrice, dramaturge, romancière, militante. Mais elle avait parfaitement conscience d’être plus célèbre pour son image que pour ses écrits. Aujourd’hui encore, près de vingt ans après sa mort, beaucoup de gens continuent de l’aimer, et beaucoup continuent de la détester !» Sigrid Nunez, écrivaine américaine et qui fut sa belle-fille, évoque un «personnage merveilleux, terrible et vertigineusement complexe».
Dans cette biographie monumentale, Benjamin Moser s’interroge. Comment expliquer que Susan Sontag ait pu connaître une gloire planétaire alors qu’elle avait écrit un roman ordinaire et des essais à la lecture ardue sur Georg Lukacs, Nathalie Sarraute ou encore Isaac Bashevis Singer ? Il avance un élément de réponse : «Elle y est parvenue, en se positionnant au point de jonction entre l’art, la culture, la politique et la sexualité à une époque marquée par de profonds bouleversements sur ces questions. C’est ce qui a fait d’elle un modèle pour toute une génération, et elle a réussi à demeurer cette figure d’autorité jusqu’à la fin de sa vie.»
Le grand écrivain américain Michael Cunningham juge «difficile d’imaginer le paysage culturel sans Susan Sontag, tandis que la Canadienne Margaret Atwood s’adresse, elle, à ses confrères et consœurs littéraires : «Sachez que si Benjamin Moser se pique un jour d’écrire votre biographie, TOUT sera révélé…»
Avec Sontag, une somme de près de 900 pages, Benjamin Moser a réussi le tour de force d’écrire une biographie tout en empathie mais sans la moindre complaisance. Un livre indispensable qui montre, définitivement, qu’«on ne naît pas Susan Sontag : on le devient».