Un père finlandais, une mère estonienne. Des études à l’École supérieure de théâtre d’Helsinki. Un look extravagant… Sofi Oksanen est l’une des plus brillantes écrivaines scandinaves, traduite dans une cinquantaine de langues.
On la surnomme «la punk éthique», elle qui doit sa réputation à son écriture et son style tout en rage, rugosité et morale rigoriste. Ce qu’on retrouve, une nouvelle fois, dans son nouveau livre, Deux fois dans le même fleuve, au sous-titre suffisamment explicite : «La guerre de Poutine contre les femmes».
Au commencement, il y eut une conférence organisée le 22 mars dernier par l’Académie suédoise. Le thème : les facteurs menaçant la liberté d’expression et la démocratie. Parmi les participants, Sofi Oksanen, dont le discours, intitulé «La Guerre de Poutine contre les femmes», a enthousiasmé le public. Conséquence : l’auteure finlandaise, née il y a 46 ans à Jyväskylä, grosse ville de quelque 150 000 habitants au centre du pays, décide de l’approfondir, de le compléter, de l’étayer. Ce sont les mots de l’historien et géographe grec Hérodote qui ont inspiré le titre du livre : «Nous ne saurions entrer deux fois dans le même fleuve, car ce n’est déjà plus le même fleuve, et nous ne sommes plus nous-mêmes.»
Dès les premières lignes du prologue, l’auteure de Purge, des Vaches de Staline ou encore du Parc à chiens évoque le thème de la misogynie «comme outil de pouvoir en Russie. La violence sexuelle exercée en Ukraine est une composante essentielle du génocide visant les Ukrainiens. Sur le plan intérieur, la misogynie ambiante protège le régime en empêchant les femmes d’accéder au pouvoir. À l’international, c’est un instrument d’impérialisme. Ces trois objectifs soutiennent la mission primordiale de Poutine : consolider le pouvoir central».
Pour Sofi Oksanen, la Russie impose le silence aux femmes, fait du viol une arme et n’hésite pas à humilier ses victimes
Au fil des pages, Sofi Oksanen ne fait pas dans le demi-ton et livre son point de vue sur l’invasion russe de l’Ukraine, commencée le 24 février 2022. «La Russie n’est jamais considérée comme une puissance coloniale, c’est une des clés de l’incompréhension occidentale. Partant de là, tout s’éclaire : Poutine et les Russes ne sont pas fous, ils se conduisent comme une puissance coloniale», expliquait récemment l’auteure finlandaise. Aujourd’hui, avec ce livre, elle se rappelle sa grand-tante, qui «n’était pas muette de naissance. Au début de la seconde occupation soviétique de l’Estonie, elle fut emmenée pour subir toute une nuit d’interrogatoires, après quoi elle cessa définitivement de parler. En rentrant à la maison le matin, elle paraissait à peu près en forme, mais elle ne dit plus jamais rien d’autre que « Jah, ärä »». «Oui, arrêtez»…
Ce souvenir ouvre Deux fois dans le même fleuve, avec un premier chapitre intitulé «Quand la violence sexuelle devient une arme». Ainsi, Oksanen explique que la Russie de Poutine a ressorti une feuille de route qui rappelle celle de l’impératrice Catherine la Grande en Crimée en 1783 ou celle de l’URSS de Staline. Trois chefs d’État, trois époques différentes, mais toujours le même modus operandi : pour appuyer une politique impérialiste, anéantir les adversaires et développer la propagande, utiliser la violence sexuelle dans le cadre de la guerre. Pour Sofi Oksanen, aucun doute : dans la Russie de Poutine, l’égalité est en déclin. Pire, la Russie impose le silence aux femmes, utilise le viol comme arme et n’hésite pas à humilier ses victimes dans la sphère publique avec la menace de représailles…
Deux fois dans le même fleuve, ce sont des pages aussi implacables que glaçantes sur les crimes sexuels des soldats de Poutine. C’est également un sacré coup de poing adressé à ce monde qui, un temps, a trouvé le maître du Kremlin folklorique.