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[Littérature] Sobres mémoires


Dans le premier tome de ses mémoires, le romancier David Lodge se dévoile avec pudeur et simplicité. (Photo : DR)

Avec Né au bon moment, l’écrivain anglais David Lodge publie, à 81ans, le premier tome de ses mémoires, courant sur quarante années de 1935 à 1975. L’enfance, la guerre, le mariage, l’amour, l’écriture: il dit tout…

Une existence partagée entre écriture de romans et colloques universitaires justifie-t-elle une autobiographie? Oui, quand celle-ci a pour auteur David Lodge, un maître de l’humour, ici pourtant très sage. Il est le romancier britannique préféré des francophones. Comme personne, il manie l’humour, l’ironie, la causticité… Il a été professeur de littérature à l’université et a pris sa retraite à 52 ans. À 81 ans, David Lodge publie ses mémoires, du moins, le premier tome qui court de sa naissance en 1935 à 1975, sous un joli titre : Né au bon moment.

En avant-propos d’un livre dédié à «Mary, avec tout mon amour», il indique : «Je suis venu au monde le 28 janvier 1935, moment faste pour un futur écrivain né en Angleterre et appartenant à une famille de la classe moyenne la plus modeste comme la mienne, malgré les sombres menaces qui planaient sur l’Europe.»

Quelques pages plus tard, il confie : «J’ai été le premier et finalement l’unique enfant de mes parents. Quand je suis né, un peu plus de deux ans après leur mariage, ils vivaient dans un appartement de Grove Vale, à l’est de Dulwich, aujourd’hui encore le quartier le plus pauvre de cette banlieue sud de Londres, non loin de la maison jumelée où mon père – lui aussi fils unique, avait vécu avec ses parents jusqu’à son mariage».

Dans la construction de ce livre, David Lodge a opté pour la sobriété. On croyait qu’on allait lire un nouveau roman de comédie comme Jeu de société ou encore Un tout petit monde, et vite, on doit admettre que l’on s’est trompé. Oui, celui qui a aussi écrit Changement de décor a joué, pour ce premier tome de ses mémoires, la linéarité, avec un récit chronologique courant de 1935 à 1975.

Quarante ans d’une vie commencée quatre ans avant le début de Seconde Guerre mondiale. Un conflit qui prend fin quand le gamin fête sa dixième année… Au fil des pages, on va accompagner un homme aussi atavique qu’ordinaire. Un homme qui, malgré le succès de ses livres, se tiendra longtemps à l’écart du monde littéraire londonien. Un homme qui confiera : «Une expérience intéressante, c’est de l’argent en banque pour un romancier et il n’est jamais trop tôt pour ouvrir un compte» pour justifier son caractère économe.

Symptômes dépressifs

Il raconte aussi cet enfant qu’il fut, évacué de Londres pour cause de bombardements, et cette période (brève, admet-il) qu’il passa en pension – ce qu’il ne supporta pas, ce qui entraîna des symptômes dépressifs non sans effets plus tard : ainsi, il décidera de ne pas être candidat à l’université de Cambridge. Parmi de nombreux sujets évoqués, David Lodge ne manque pas d’écrire des pages sur sa femme Mary. La femme de sa vie, depuis toujours, depuis l’instant où ils se sont rencontrés.

L’écriture? Il avoue avoir été influencé par James Joyce, Graham Greene et Evelyn Waugh, écrit un roman quand il avait 18 ans et publie son premier à 25 ans (c’est The Picturegoers, toujours pas traduit en français). On apprend aussi que peu après son mariage, il a acheté une voiture puis une télévision en 1963… Le couple aura trois enfants – le troisième, Christopher, est trisomique.

Dans les dernières pages de ce premier tome, David Lodge glisse, évoquant l’écriture : «Quand on me demandait de définir ma propre œuvre, je répondais généralement : « Fondamentalement réaliste mais avec des éléments métafictionnels. » Récemment, j’ai été attiré par le récit fondé sur des faits réels (…), je n’ai plus écrit de roman qui cherche à prêter au récit fictionnel l’illusion sans faille de la réalité en adoptant un unique point de vue et un style uniforme.» Ces temps-ci, l’écrivain anglais assure travailler sur le deuxième tome de ses mémoires. Y sera-t-il toujours sobre ?

De notre correspondant à Paris, Serge Bressan

Né au bon moment, de David Lodge. Rivages.