Déjà enfant, il se l’était promis, juré : il avait décidé de protéger la nature. Jeune homme, il est devenu forestier, mais s’est rapidement révolté contre les méthodes prônées par son patron d’alors, pour qui la forêt qu’il exploitait n’était rien que matière première pour les scieries du coin. «Ce type n’en connaissait pas plus sur la vie secrète des arbres qu’un boucher sur la vie affective des animaux!»
Et puis, l’Allemand Peter Wohlleben est passé à l’écriture. Un premier livre en 2015, ce sera La Vie secrète des arbres – best-seller mondial avec plus d’un million et demi de livres vendus et traduit en plus de trente langues. Suivront La Vie secrète des animaux (2018) et Le Réseau secret de la nature (2019).
À 57 ans, né à Bonn, Wohlleben vit à Hümmel, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Bonn – il y dirige une forêt de hêtres écologique. Et, ingénieur forestier de formation, est considéré aujourd’hui comme le plus célèbre des forestiers du monde! On le retrouve avec son nouveau livre, Marcher dans les bois. Sous-titre : «Le guide amoureux de la forêt».
De petites et grandes aventures se cachent derrière les arbres, et n’attendent que d’être vécues!
Dans un entretien, il n’avait pas manqué de rappeler une évidence : «Depuis les années 1970, les scientifiques savent que les arbres communiquent, et que pour cela, ils s’appuient sur un vaste réseau de filaments enfouis dans le sol. Simplement, le grand public ne le sait pas : le langage scientifique est trop pointu et chaque chercheur étudie une petite pièce du puzzle.»
Car pour lui, aucun doute : les arbres peuvent étonner, émerveiller, c’est pour cela qu’il faut les respecter, c’est à ce (petit) prix qu’on peut, de leur fréquentation, retirer de la joie. Alors, sur le bandeau qui ceint Marcher dans les bois, l’éditeur nous indique : «Observer les animaux, sortir des sentiers battus, sensibiliser les enfants, se protéger des tiques, se reconnecter à la nature»… Faut-il voir là, dans cet engouement pour la chose sylvestre, une tendance sociétale qui ferait fureur chez les éditeurs et dans les magazines? Une vague verte, du potager à la forêt?
Dans les premières pages du livre, l’écrivain-forestier confie : «Désormais, j’ai la possibilité de partager largement mon enthousiasme pour la forêt et je m’en réjouis, car à mes yeux, celle-ci est loin d’être aussi exploitée qu’elle le devrait. (…) je ne parle pas ici de vendre davantage de bois : cette exploitation-là est déjà largement abusive. Je pense à toutes les aventures, petites et grandes, qui se cachent derrière les arbres et n’attendent que d’être vécues. Pour cela, une seule chose à faire : mettre de bonnes chaussures et marcher!»
Le bruit émis par les êtres humains ne stresse pas les animaux sauvages
Ainsi, d’une écriture aussi limpide que végétale, dans un style aussi documenté que ludique, Peter Wohlleben lance à ses lectrices et lecteurs : «Promenons-nous dans les bois!». Avec ce rappel : les animaux sauvages apprécient le silence. Précision : «Au plus fort d’une tempête, quand le vent se déchaîne ou quand il pleut à verse, les autres sons disparaissent, y compris ceux que produisent les loups ou les lynx à l’approche – danger mortel pour les cervidés. (…) Mais le bruit émis par les êtres humains, lui, ne stresse pas les animaux sauvages : loin d’emplir toute la forêt, il provient d’une seule direction.»
Alors, oui, baladons-nous avec Peter Wohlleben! Au hasard des pages, on sortira des sentiers battus, parce qu’on a, entre les mains, rien moins que l’antimanuel de la forêt. Certainement pas un mode d’emploi, mais en trente chapitres, l’art et la manière de goûter tous les plaisirs de l’espace sylvestre – avec informations scientifiques et historiques, conseils, témoignages personnels et réflexions.
Astuces et conseils, l’auteur n’en est pas avare. Exemples : comment ne pas se mouiller les pieds dans la forêt? Comment déjouer mouches, taons et tiques, identifier des empreintes dans la boue, installer un nichoir? Il y ajoute même un chapitre spécial pour les enfants avec, entre autres, la recette de fabrication de chewing-gum avec de la résine!
Au-delà de ces astuces, conseils et autres recettes, avec Marcher dans les bois, Peter Wohlleben a écrit un texte aussi édifiant que vivifiant sur notre rapport à la forêt. Il y défend le libre accès aux zones protégées tout autant qu’aux forêts communales et privées. Il y bouscule quelques idées bien ancrées chez nombre de personnes et assure que les «explorateurs du dimanche» ne mettent pas en danger l’équilibre de la forêt.
Parce que, explique-t-il avec un grand sens de la pédagogie, l’espèce humaine est une des composantes de l’écosystème forestier – il lui suffit d’y trouver sa place. Ce qui est possible après avoir lu Peter Wohlleben!
Serge Bressan
Marcher dans les bois, Peter Wohlleben (Les Arènes).