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[Littérature] Patrick Modiano : ici, c’est Paris ! 


Patrick Modiano. (photo Francesca Mantovani)

Neuf romans de Patrick Modiano viennent d’être réunis dans Paris des jours et des nuits. Un pavé essentiel.

En avant-propos, on lit : «Vous êtes né dans une ville et plus tard elle apparaîtra dans la plupart de vos romans comme un paysage naturel. S’y ajoutent les lectures que j’ai faites très jeune et où je retrouvais les mystères de Paris…». On tourne les pages, on continue : des clichés photographiques fixés entre 1953 et 1972, la ville en noir et blanc. Il y a, sur un mur sur le chemin de l’école, un slogan signé Guy Debord : «Ne travaillez jamais».

Puis le cirque Medrano, les abattoirs de Vaugirard en 1963 («Il faisait une nuit noire. Et c’est là que j’ai vu pour la première fois une file de chevaux»), la rue de l’Hirondelle, la gare Saint-Lazare («Il fait nuit. Un va-et-vient monotone entre la salle des pas perdus et le buffet»)… Instantanés d’une ville, Paris, pour une œuvre capitale.

Une ville qu’on retrouve à chacune des 1 020 pages de ce Paris des jours et des nuits – pavé essentiel qui réunit neuf romans de Patrick Modiano, 79 ans et prix Nobel de littérature 2014 : De si braves garçons (1982), Quartier perdu (1985), Voyage de noces (1990), Un cirque passe (1992), Du plus loin de l’oubli (1996), Des inconnues (1999), La Petite Bijou (2001), Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier (2014) et Encre sympathique (2019), auxquels s’ajoute un texte inédit, Brassaï de la nuit, consacré au photographe hongrois (1899-1984) chantre du Paris interlope de l’entre-deux-guerres : «Certaines des photos de Brassaï nous ramènent à la lisière de notre mémoire et réveillent les images et les odeurs de l’enfance».

Place au voyage au pays «modianesque». Première étape, De si braves garçons. «Une large allée de graviers montait en pente douce jusqu’au château. Mais tout de suite, sur votre droite, devant le bungalow de l’infirmerie, vous vous étonniez, la première fois, de ce mât blanc au sommet duquel flottait un drapeau français. À ce mât, chaque matin, l’un d’entre nous hissait les couleurs après que M. Jeanschmidt eu lancé l’ordre : Sections, garde-à-vous !».

En quelques mots, quelques lignes, tout Modiano est là : le Modiano de La Place de l’étoile, son premier roman paru en 1968, jusqu’à celui de La Danseuse, paru en 2023. Depuis, quelques critiques paresseux (ou en panne d’imagination) répètent que, dans toutes ces pages, on entend toujours la même «petite musique» de l’auteur. Qu’est-ce à dire ?

Saupoudrez, pour finir, de poussière du métro / Mais n’en prenez pas trop, Paris perdrait son âme

Près de soixante ans après son apparition dans le monde des lettres (pas seulement français), Patrick Modiano symbolise le Paris des jours, celui des nuits aussi. Mieux : de la capitale française, il a fait le personnage principal de ses romans. Paris en version Modiano, c’est vraiment une œuvre capitale. Ainsi, dans Voyage de noces (1990), il fait étape à la porte Dorée, à la limite du bois de Vincennes : «Hier, au début de l’après-midi, j’avais décidé de visiter l’ancien musée des Colonies. À la sortie de l’hôtel, il suffit de traverser la place aux fontaines et l’on arrive devant la grille en fer forgé, les marches et le perron monumental du musée…».

Ainsi, dans Un cirque passe (1992), on longe la Seine, face au Louvre : «Quai Conti, les fenêtres du bureau étaient éclairées. Grabbley avait-il oublié d’éteindre la lumière quand il était parti pour sa tournée? (…) Un peu plus haut, le théâtre Fontaine. Ma mère y jouait un vaudeville : La Princesse parfumée. Et nos retours par le dernier autobus dans cet appartement du quai Conti, presque aussi délabré que ce soir…».

Lui qui s’est toujours présenté comme «un enfant de la guerre», comme «un enfant qui a dû sa naissance au Paris de l’Occupation», il s’est glissé, se glisse encore en promeneur élancé dans ce décor aux allures de paysage naturel. On dit même que certains jours, et bien sûr certaines nuits aussi, on pourrait entendre Patrick Modiano murmurer Paris Paris, la chanson qu’interprétaient en 1994 Malcolm McLaren et Catherine Deneuve : «Saupoudrez, pour finir, de poussière du métro / Mais n’en prenez pas trop, Paris perdrait son âme».

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