Cette semaine, on a lu Nathalie Rykiel, Talisman à l’usage des mères et des filles (éditions Flammarion).
Elle confie : «J’ai écrit plusieurs livres sur la transmission, sur ma relation avec ma mère, mon père, la famille… C’est un sujet qui me hante.» Elle écrit : «Mère et fille, nous avons passé notre vie ensemble, sans vivre ensemble. Nous avons travaillé ensemble. De mon premier cri à ton dernier soupir, pas un jour sans se voir, ou sans se téléphoner, se parler, se préoccuper l’une de l’autre. Tu étais une mère imposante, omniprésente, mais aussi terriblement attirante.» Souvent, des plus ou moins proches lui ont conseillé de «ne pas rester auprès d’une mère aussi dévorante. On m’a dit que tu ne me laisserais pas devenir moi». La fille écrit encore de sa mère : «Tu étais jalouse et possessive. Mais, surtout, tellement aimante…»
Le 25 août 2016, Sonia Rykiel, la grande couturière et designer française, s’en est allée à jamais. La fille, Nathalie, a dirigé le groupe de mode créé par sa mère de 1995 à 2012, et publié en 2017 Écoute-moi bien, roman remarqué sur une relation mère-fille, sur la quête de sa place dans la lignée familiale. Un véritable hymne à l’amour. Et en ce printemps, Nathalie Rykiel revient avec Talisman à l’usage des mères et des filles. Un beau livre, couverture chic de couleur orange. Des mots de Nathalie, des dessins (une cinquantaine, tous inédits) de Sonia.
Des dessins, raconte Nathalie Rykiel, sortis d’un tiroir quand sa petite-fille est née : «Ce sont de petites notes que ma mère me laissait, qui traînaient sur mon bureau, dans ma valise. Un peu comme des Post-it, des SMS… Ça traitait aussi bien de « veux-tu du fromage ?, je vais faire les courses » que « je m’ennuie de toi ». Il y avait du profond, du lourd, du quotidien. C’était son mode de fonctionnement, elle adorait dessiner.» De petits dessins «ratatinés, déployés, gribouillés, drôles, excentriques, colorés, élégants, déglingués…» et, en réponse, des mots du quotidien, de la vie. De toute une vie.
Aujourd’hui, il y a une chose absolument certaine : je la porte en moi !
Dans Talisman à l’usage des mères et des filles, il est sujet (beaucoup) d’amour – puissant et certain. D’amour maternel qui donne la force de tout combattre. «T’avoir comme mère, c’est la plus grande chose qui me soit arrivée», confesse l’auteure dans un livre tout dédié à celle qu’elle qualifie de «mère-veille». Placé sous la bienveillance des mots de Roland Barthes : «Désormais et à jamais, je suis moi-même ma propre mère» (Journal de deuil), ce talisman en mots et dessins scelle à jamais une relation unique entre une mère et sa fille – laquelle écrit, en réponse à un dessin : «Notre grand luxe, on le sait bien, c’est d’être toutes les deux», et à un autre : «Trop près tu m’empoisonnes / Trop loin tu m’abandonnes».
Dans ce livre lettre à la mère, dans ce dialogue d’outre-mère, encore une confidence : «C’est en te regardant vivre que j’ai compris que tout est possible.» De page en page surgissent en creux des interrogations existentielles : est-il possible de se construire quand la mère est omniprésente ? Est-il possible, envisageable, d’acquérir la liberté, sa liberté ? Dans un récent entretien, Nathalie Rykiel a prolongé son observation sur sa relation avec sa mère : «On m’a souvent dit : « Pourquoi tu ne t’en vas pas ? » Ce qui m’intéressait, c’est de trouver ma place à l’intérieur, pas dans la rupture. (…) À la fin de sa vie, la maladie terrifiante qu’elle a eue (NDLR : depuis la fin des années 1990, elle est atteinte de la maladie de Parkinson) a fait que ma mère est devenue ma fille, mon enfant puis mon bébé, et ça c’est une expérience hallucinante. Aujourd’hui, il y a une chose absolument certaine : je la porte en moi.»
Beau et brillant, Talisman à l’usage des mères et des filles n’est pas seulement un livre qu’on résumerait en une formule genre «ma mère, cette héroïne». C’est aussi le récit d’une relation unique, le roman de l’amour mère-fille et le texte étincelant des mystères de la transmission. Et en posant le livre de Nathalie Rykiel, nous reviennent les mots d’une chanson d’Arno : «Dans les yeux de ma mère / Il y a toujours une lumière»…
De notre correspondant à Paris, Serge Bressan