Bien avant son arrivée en librairies, c’était déjà l’événement. Avec anéantir, Michel Houellebecq, le «Droopy» de la littérature française contemporaine et accessoirement l’écrivain francophone le plus connu dans le monde entier, signe son huitième et nouveau roman après Sérotonine (2019).
Fidèle à lui-même, ou au personnage littéraire dans les habits duquel il s’est glissé depuis ses débuts voilà trente ans, une fois encore, il incite à la déprime, voire à la dépression, tout en ne gommant pas la possibilité du bonheur.
Dans anéantir, le prix Goncourt 2010 raconte l’amour, la fin de vie, la politique en 2027, le terrorisme numérique, les liens familiaux, il évoque l’homme de télé Cyril Hanouna, la GPA, la DGSI, Éric Zemmour, les ultraminorités et leur idéologie ou encore Sherlock Holmes, sans oublier un ministre de l’Économie et des Finances qui n’est pas sans rappeler son ami Bruno Le Maire, actuel ministre d’Emmanuel Macron…
Houellebecq demeure fidèle à sa légende : incontrôlable, inattendu, provocateur
Dans ce roman sur la possibilité du «nihil», vite le lecteur est embarqué. Sur une fausse piste avec une vidéo pirate montrant la décapitation du ministre Bruno Juge. Les services secrets tentent de décoder ladite vidéo… et déjà, autre chose avec Paul Raison, personnage fil rouge du roman à l’allure d’«antihéros».
Il bosse au ministère de l’Économie et des Finances, est haut fonctionnaire, a sympathisé avec le ministre Bruno Juge, vit un mariage banal avec Prudence, elle aussi haut fonctionnaire au même ministère. Dans ce roman de l’impermanence, il y a des confidences du ministre, qui glisse qu’avec sa femme, Evangéline, ça ne fonctionne plus vraiment, alors que Paul, lui, la considère comme une «chaudasse».
On y rencontre aussi le père de Paul, un ancien boss de la DGSI. Victime d’un AVC et hospitalisé à Lyon, il est visité par son fils, qui retrouve la sœur qu’il n’a pas vue depuis une petite dizaine d’années, mariée à un notaire. Paul a une détestation pour les Ehpad, qu’il tient pour des «mouroirs».
Il charge donc sa sœur d’éviter à leur père cette fin de vie, elle réglera l’affaire avec des gros bras d’un groupe d’extrême droite… On est chez Houellebecq, donc il y a aussi le sexe, souvent triste, rarement joyeux.
Et puis, on est en France avec un auteur consacré pythie et oracle de la chose politique : alors, dans anéantir, en bon praticien de la dystopie, il place son roman en 2027. L’économie du pays va beaucoup mieux et le ministre de l’Économie et des Finances a une grande part dans la réindustrialisation même si, dans cette «start-up nation», nombre d’emplois sont scandaleusement sous-payés.
Une élection présidentielle est prévue avec de nouveaux candidats, l’actuel président de la République ne pouvant pas, selon la constitution, se présenter pour un troisième mandat consécutif. Donc, malin, aux dépens du ministre Bruno Juge, le président met en avant Benjamin Serfati, animateur vedette de la télé.
Ce dernier, qui a remplacé un Cyril Hanouna rattrapé par des affaires de mœurs, sera sûrement élu, et gardera donc la place bien au chaud pendant cinq ans pour que, plus que jamais adepte de Machiavel, le président retrouve l’Élysée en 2032…
Passé de la gauche à la droite, à 65 ans, Michel Houellebecq demeure fidèle à sa légende. Incontrôlable, inattendu, provocateur. En titre, il annonce anéantir. On le quitte en chantre de l’amour, cet amour qui réunit Paul et Prudence…
De notre correspondant à Paris, Serge Bressan