On la surnomme l’idole des jeunes, la fée bien-aimée ou encore la grande petite fille. Ces temps derniers, Susie Morgenstern a fait sensation à chacun de ses passages à la télévision pour la promotion de son nouveau livre, Mes 18 exils (L’Iconoclaste).
Look immuable, unique : des lunettes en forme de cœur, des robes chamarrées – et même une robe toute blanche lors d’une émission littéraire pour demander la main d’un autre invité, le romancier Daniel Pennac. Elle évoqua aussi un de ses t-shirts sur lequel est inscrit, pour slogan, «Je veux être harcelée» – ce qui, avoua-t-elle, fait le désespoir de ses filles et petites-filles. Elle alla également d’une confidence : «Il a fallu que j’écrive un livre pour adultes pour qu’enfin on parle de moi !»
À 76 ans, née à Newark, New Jersey (comme Philip Roth), elle aligne une bibliographie d’environ 150 titres pour la jeunesse. Ce qui lui confère le quasi-statut de «papesse de la littérature jeunesse». Susie Morgenstern n’a jamais dédaigné ses jeunes lectrices et lecteurs – toujours, elle glisse des mots qui vont les faire réfléchir, éveiller leur curiosité… et quand elle passe à l’écriture «pour adultes», elle reste la même. Formidablement pétillante, délicatement enthousiaste, follement exigeante parce que, pour elle, «chaque mot est une bulle de champagne».
Un livre qui s’est imposé à elle lors d’un cours sur les ateliers d’écriture : «On nous a demandé de travailler sur ce mot : exil, confie-t-elle. Tout de suite, s’est imposée à moi une liste de moments de ma vie qui y faisaient écho. Pour moi, cela signifie le changement. C’est changer de peau comme un serpent, un lézard. C’est muer.» Ainsi, dès les premières pages de Mes 18 exils, elle annonce : «D’exil en exil, ma vie se déroule. La vie commence d’ailleurs par un exil.» On lit la table des matières. «Exil1. Naître. On est au chaud avec tout ce qu’il faut et puis, à grand-peine et avec violence, nous voilà expulsé du ventre de notre mère. Même si tout le monde y passe, avouez que c’est dur. Pourtant, je n’ai jamais regretté, pas une seule minute, d’être née». On termine : «Exil 18. Mourir. L’ultime exil, on essaie tous de ne pas y penser. Mais quand on n’en est pas loin, c’est difficile. Ma prière quotidienne : « Merci d’être en vie ! ». Restons le plus possible dans cette vie on se plaint mais qu’on aime tant-tant-tant !»
J’étais une escroc ! Je ne donnais que des devoirs aux élèves, et pendant ce temps, j’écrivais mes livres !
En près de 300 pages, Susie Morgenstern (se) raconte. Sa vie. Une vie. Évoque, en chapitres vivement rythmés, ses exils : entrer à l’école, être loin de ses sœurs, être juive, infiltrée chez les garçons, être intello, sioniste, amoureuse, mère, immigrée, veuve, errer, passer de souris grise à femme fatale, être malade, affronter le syndrome du nid vide, faire le deuil… Elle a quitté son Amérique natale voilà 54 ans, s’amuse de toujours aussi mal maîtriser la langue française (elle vit à Nice) et de n’avoir jamais pu gommer son accent. Elle raconte, avec joie et bonne humeur, que sa vie a toujours été marquée, guidée, inspirée par l’amour, elle qui a grandi dans une famille «branque» où la douce folie était de mise et où, parce que studieuse, elle faisait les devoirs scolaires de ses sœurs ! L’amour… Un des maîtres-mots de Susie Morgenstern.
Il y eut, dans le restaurant de l’université de Jérusalem, le coup de foudre pour le mathématicien français Jacques Morgenstern. Pour lui, elle quitte tout; le suit en 1967 en France, ce pays dont elle ne connaît rien si ce n’est «Charles de Gaulle et Chanel N°5» ! Elle travaillera pour l’Éducation nationale, avoue aujourd’hui : «J’étais une escroc ! Je ne donnais que des devoirs aux élèves, et pendant ce temps, j’écrivais mes livres ! Au début, j’avais un vocabulaire de cinquante mots…».
Des livres inspirés par son enfance, puis par ses filles et ses petits-enfants; des livres racontent la vie quotidienne des «kids», comme elle dit – il y eut C’est pas juste (Grand Prix du livre pour la jeunesse 1981), La Sixième (1984) ou Lettres d’amour de 0 à 10 (1996). Des livres qui ont ponctué une vie d’exils – avec l’immigration, le veuvage, l’errement, la maladie, le deuil et «le choc de la mort des plus proches, famille et amis, bouleverse notre équilibre. Ces disparus font de moi un cœur en exil»… Avec Mes 18 exils, Susie Morgenstern a écrit la belle célébration de la vie. Merci Susie !
De notre correspondant à Paris, Serge Bressan