Traduit dans une trentaine de langues, l’auteur écossais Peter May se documente longuement, voyage, puis s’isole pour écrire, connecté aux problèmes du monde qui nourrissent ses derniers romans noirs.
Il a publié son premier livre à 26 ans, mais Peter May a d’abord été reporter, puis scénariste de séries en Écosse, avant de devenir romancier. «Je voulais gagner ma vie en écrivant», raconte-t-il dans son jardin à Bétaille, petit village du Lot, dans le sud-ouest de la France. Expulsé du lycée dans les années 1960 – un peu rebelle, cheveux longs, musicien rock – il rêvait d’être écrivain. «Mais il n’y avait pas de cours pour ça à l’université!», se souvient, rieur, cet auteur aux quelque 29 romans, né à Glasgow le 20 décembre 1951.
La célébrité littéraire viendra tard avec L’Île des chasseurs d’oiseaux, paru d’abord dans sa traduction française en 2010. Aucun éditeur anglophone n’avait flairé le potentiel du premier tome de sa «trilogie écossaise» qui prend pour décor l’île de Lewis, vendue ensuite à plus de trois millions d’exemplaires.
Aimant «le roman noir, qui vous plonge dans une atmosphère», Danielle Dastugue, fondatrice des éditions du Rouergue, a pris le risque. Elle connaissait bien l’écrivain, installé en France depuis la fin des années 1990 et dont elle avait déjà publié Meurtres à Pékin, suivi des cinq autres opus de sa série chinoise. «Dans L’Île aux chasseurs d’oiseaux, il y a tout : des personnages magnifiques, des paysages à couper le souffle (…) Peter était peut-être en avance sur la vague scandinave qui est dans cette veine-là», dit-elle.
3 000 mots par jour
Le style de Peter May est marqué par ses années dans le milieu de la télévision et de la presse : «J’ai appris, explique-t-il, à écrire très vite», à «faire des recherches sur n’importe quel sujet, sans peur de décrocher le téléphone pour consulter un expert». «Il passe beaucoup de temps dans la réflexion, la construction de l’intrigue, des décors, des personnages», confirme Nathalie Démoulin, son éditrice au Rouergue. Elle s’étonne encore d’avoir reçu en plein confinement son prémonitoire Quarantaine, écrit en 2005, puis «oublié» dans ses archives.
Quand on tombe dans un Peter May, on ne veut plus en sortir, sauf pour lire le suivant
En période d’écriture, Peter May s’enferme dans son bureau, où une vaste bibliothèque contient les multiples éditions de ses livres. «Je me lève à 6 h et écris 3 000 mots par jour. Si c’est bon, je finis à midi, sinon à minuit. Je m’arrête au 3 000e mot, même au milieu d’une phrase», dit-il, dévoilant, mutin, son secret antiblocage de la page blanche. Avant cette phase intense de «six à huit semaines», il y a «le pépin d’une idée» qu’il passe trois à quatre mois à développer. «Il aime que tout soit absolument parfait» et «veut visiter chaque lieu qui apparaît dans le livre», précise l’épouse de l’écrivain, Janice Hally, ancienne scénariste, qui l’a accompagné «dans les coulisses de la police chinoise» ou la cuisine du chef Michel Bras.
Écrire sans pression
Ariane Bataille, sa principale traductrice, qui le décrit comme «charmant, plein d’humour et fin gourmet», l’a ainsi emmené «au journal Libération, dans un commissariat de police et même à la morgue» pour sa série des enquêtes d’Enzo Macleod. Peter May a fait une exception pour Un chemin sans pardon, sorti en 1992, remanié et de retour hier en librairie pour sa version française. L’histoire, qui se joue sur fond de guerre au Cambodge et de crise des boat people, évoque les affres du stress post-traumatique. «Il ne pouvait se rendre au Cambodge à ce moment-là : c’était tendu!», rappelle André Sellier, qui y servait alors pour l’ONU. Ce général retraité a traduit cette «aventure humaine, sur un terrain brutal», de sa propre initiative.
À 71 ans, le prolifique Peter May entend ne plus s’infliger la «pression» d’un roman par an et souhaite se consacrer à sa passion de «faire de la musique avec des amis», mais ne perd pas de vue les soucis de la planète. Ainsi, A Winter Grave, prévu l’an prochain en français, aborde le bouleversement climatique par un crime, lors d’une glaciation qu’il imagine dans trente ans. Un nouveau «page turner» de cet écrivain qui, selon Danielle Dastugue, «donne du bonheur aux grands lecteurs et envie de lire aux autres : quand on tombe dans un Peter May, on ne veut plus en sortir, sauf pour lire le suivant».