Retrouvez notre critique littéraire de la semaine.
En voici un, et c’est bien le moins qu’on puisse dire et écrire, qui ne s’embarrasse pas avec la bienséance et les convenances. Et ça dure depuis près de quarante ans. Américain de 76 ans, né à Los Angeles, James Ellroy est un dynamiteur – parfois de loulous, avant tout d’icônes et de bienpensants. Dans le monde des lettres et des livres, c’est bien simple, on le vénère ou on le déteste.
À vrai dire, il n’en a que faire. Ainsi, avec Les Enchanteurs, son nouveau roman (troisième tome de son «quintette» sur le Los Angeles de l’après-guerre, après Perfidia et La Tempête qui vient), il dézingue sans modération et avec jubilation Marilyn Monroe, tout en filant un sacré coup de griffe à deux frangins, John et Robert Kennedy.
Bref, en verve comme jamais, James Ellroy ausculte cette Amérique qui le passionne, celle d’hier courant des années 1940 à 1970. Précis quasi obsessionnel, tenu pour le «Dostoïevski de l’Amérique» pour la grande Joyce Carol Oates, il s’arme d’un stylo-scalpel (il écrit encore et toujours à la main, honnit l’ordinateur et le téléphone portable) et, s’il le faut, il peut aussi récrire l’Histoire.
Il prend plaisir à répéter : «Je suis écrivain, j’ai tous les droits». Ainsi, pour Les Enchanteurs, il s’installe (et nous lecteurs, en sa compagnie) une fois encore à Los Angeles. Le 4 août 1962, la canicule frappe la ville et les Angelenos. Cette nuit-là dans sa villa d’Helena Drive, la superstar d’Hollywood et du monde Marilyn Monroe est morte d’une overdose.
J’ai voulu donner ma version de la mort de Marilyn
«Elle était une diablesse, un canon, une bombe sexuelle et plus. Elle était une tigresse, un serpent prêt à mordre, une enchanteresse, un reproche vivant adressé aux coincés et aux ringards». Au même moment, une actrice de série B, Gwen Perloff, est kidnappée dans d’étranges conditions. Et le Los Angeles Police District (LAPD) de se retrouver en état d’alerte générale.
Et son chef Bill Parker, de faire appel à un personnage d’Hollywood, Freddy Otash… L’assurance d’un polar à la sauce Ellroy, autant dire que ça déménage. Ça bouillonne, ça balance – les frères Kennedy sont prêts à tout pour discréditer Marilyn Monroe et tordre le cou aux rumeurs à caractère sexuel. Le LAPD, lui, veut discréditer les Kennedy, surtout Bobby qui pourrait revenir sur sa promesse faite au chef Parker de lui donner la direction du FBI – un discrédit pour lequel le chef du puissant syndicat des camionneurs, Jimmy Hoffa, n’hésite pas à participer…
Et dans tout ça, il y a Freddy Otash. Un ami de James Ellroy, un type peu fréquentable qui a vraiment existé et à qui l’auteur, là, rend hommage. Ce Freddy O., c’est un drôle de loustic. Déjà croisé dans Extorsion et Panique générale, il aligne un sacré CV : ancien flic au LAPD, maître chanteur, journaliste spécialiste de coups tordus et à l’affût du moindre ragot sur les stars pour le journal «à scandale», détective privé… Bref, un type sans foi ni loi, qui carbure au fric et à l’adrénaline. Un type comme les aime James Ellroy qui s’est lui-même surnommé «Demon Dog».
En près de 700 pages, 75 chapitres et au moins deux histoires d’amour, l’auteur qui a accédé à la célébrité avec Le Dahlia noir, L.A. Confidential ou encore Perfidia, déverse un flow que ne renierait pas un rappeur de Los Angeles. Oui, ça mord à toutes les pages! Mieux que personne, James Ellroy sait raconter l’autre côté du décor avec une idée fixe, prégnante dans tous ses livres : montrer le «vrai visage» de personnalités connues.
Ainsi, par la voix de Freddy Otash (son double d’auteur), il rhabille pour au moins trois hivers et l’éternité Marilyn Monroe. Évidemment, quelques grincheux qu’aucun express n’emmènera vers la félicité trouvent à redire que James Ellroy ne cesse de se répéter. C’en est lassant, ânonnent-ils et ils ont grandement tort. Enchanteur, «Demon Dog» dit simplement : «J’ai voulu donner ma version de la mort de Marilyn».