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[Littérature] «Le Jeune Homme» : Annie Ernaux, hier et aujourd’hui


(Photo : francesca mantovani)

Elle écrit : «Rien ne me fait peur en écriture.» Ou encore : «Il n’y a pas de vérité inférieure.» Dans une double actualité, Annie Ernaux publie Le Jeune Homme, un texte bref et dense, raclé à l’os, d’à peine 50 pages. Et au même moment, paraît un formidable Cahier de L’Herne, tout à elle consacré. Depuis la parution de son premier texte, Les Armoires vides (1974), au fil de ses livres, elle (se) raconte. La vie d’une jeune fille, d’une femme, d’une mère, d’un père. Le transfuge de classe. Un avortement…

Souvent, j’ai fait l’amour pour m’obliger à écrire

«Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues», écrit-elle en ouverture de ce Jeune Homme, récit de la liaison amoureuse d’une femme de 54 ans et d’un jeune homme de trente ans son cadet, en Normandie au mitan des années 1990. L’étudiant se prénomme A., a une petite amie dans la vie de tous les jours. Confidence de la narratrice : «Souvent, j’ai fait l’amour pour m’obliger à écrire (…) J’espérais que la fin de l’attente la plus violente qui soit, celle de jouir, me fasse éprouver la certitude qu’il n’y avait pas de jouissance supérieure à celle de l’écriture d’un livre.» Ressurgissent les doutes régulièrement évoqués au sujet de l’autofiction : mettre en scène, planifier les évènements de sa vie pour ensuite écrire… Récemment, Annie Ernaux confiait piocher dans ses souvenirs et ses instants de vie pour mettre au grand jour des sujets de société. De l’individuel à l’universel…

Du temps où elle tentait de travailler sur ce livre qui allait devenir L’Évènement (2003), elle se souvient : «C’est peut-être ce désir de déclencher l’écriture du livre – que j’hésitais à entreprendre à cause de son ampleur – qui m’avait poussée à emmener A. chez moi boire un verre après un dîner au restaurant où, de timidité, il était quasiment muet.» Et puis, pendant le confinement lié à la pandémie, Annie Ernaux s’est lancée dans ce texte en elle depuis si longtemps. Le moment était venu, près de trente ans après les faits. De son «écriture plate» (ainsi qu’elle définit son style, elle qui ne tombe jamais dans la platitude comme tant de ces auteurs stars du fragmenté), elle juxtapose deux unités de temps.

Un jour, elle retrouve A. dans son petit appartement d’étudiant à Rouen, la fenêtre donne sur l’Hôtel-Dieu, cet hôpital où, quelque trente ans plus tôt, elle a avorté (ce qu’elle raconte dans L’Évènement)… Un autre jour, ils vont déjeuner au restaurant universitaire, le même où, étudiante, elle allait prendre ses repas. Et que dire de cette déambulation main dans la main dans les rues de la ville, une femme de 54 ans et un jeune homme de trente ans son cadet, qui la ramène à une promenade avec ses parents en bord de mer, elle, jeune fille habillée d’une robe très moulante? Annie Ernaux, hier et aujourd’hui, «la fille scandaleuse»…

Dans le Cahier de L’Herne, l’auteure du Jeune Homme confie quelques extraits de son journal intime qui, assure-t-elle, ne sera publié qu’après sa mort : «Avec obstination je m’aperçois que c’est la grande finalité de mon écriture. Je veux redonner la réalité d’hier, faire qu’elle soit aussi forte et « réelle » que celle de maintenant.» Édouard Louis est, lui, catégorique : «On ne peut plus écrire de la même façon après Annie Ernaux.»

 

Annie Ernaux  – « Le Jeune Homme »

Gallimard

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