Avec une année de retard, l’Euro de football débute aujourd’hui. La bonne occasion pour regarder ce sport et ses acteurs à travers quelques livres. Dont l’impeccable et indispensable Une passion absurde et dévorante d’Olivier Guez.
On le dit, et pas seulement en France, un des plus brillants connaisseurs de toutes choses ayant rapport au ballon, qu’on appelle aussi football («soccer», de l’autre côté de l’Atlantique). On le dit aussi un des plus compétents pour expliquer l’art et la manière de manier ce ballon rond, les coulisses de ce sport le plus pratiqué au monde.
À 47 ans, Olivier Guez jouit aussi d’une belle réputation dans le monde des livres : grand connaisseur de l’histoire des dictatures, il a écrit des essais (dont L’Impossible Retour. Une histoire des juifs en Allemagne depuis 1945), un texte magnifique et indispensable (Éloge de l’esquive) ou encore deux romans, Les Révolutions de Jacques Koskas (2014) et La Disparition de Josef Mengele (2017, prix Renaudot).
En cette période d’Euro de football, il nous revient avec un recueil au titre délicieux, Une passion absurde et dévorante. Au menu de ce livre tout en dribbles et esquives : en avant-match, un léger échauffement avec une entrée en forme de fiction, en première mi-temps quelques textes parus dans la presse et, en deuxième mi-temps, de courts essais et réflexions sur cette passion, inspirés tant par des choses vues, et des portraits de joueurs d’hier et d’aujourd’hui.
Le coup de foudre un soir de l’été 1982
L’auteur a plaisir à raconter qu’il a été happé par le football alors qu’il avait à peine 8 ans, un soir de l’été 1982. Il assiste à son premier match. C’est le coup de foudre, la passion soudaine, celle qui deviendra absurde et dévorante. Ce soir-là, l’enfant a été ébloui par les lignes pures du stade, ses projecteurs qui aveuglent tout inconscient qui se mettrait en tête de les fixer du regard…
Il y a aussi cette pelouse verte, si verte, et puis ces lignes au blanc laiteux qui définissent le cadre du jeu, de la passion. Il y a aussi les gradins et le public bariolé, chamarré. Naissance d’une passion, celle qui a fait dire à l’ancien président de la FIFA le Suisse Sepp Blatter : «Vous savez, en football, les gens sont fous. Le football rend les gens fous.» Des mots que Guez a placés en ouverture de son livre…
Dans un récent entretien, l’auteur a commenté, avec des mots aussi chaloupés que les passes de Michel Platini à ses coéquipiers : «Regarder cette petite bataille avec des règles assez particulières, onze petits bonshommes contre onze petits bonshommes dont le but est de catapulter une sphère dans un filet, c’est assez absurde… Vibrer autant pour une chose comme ça? Que ce soit partagé quasi universellement aujourd’hui sur tous les continents, par tous les sexes, toutes les catégories d’âge, que ça ait pris une telle importance économique, une telle ampleur politique, c’est fascinant. Et, au fond, c’est assez absurde…» Certes.
Le football, un outil pour comprendre le monde
Mais c’est aussi, comme le démontre Olivier Guez, un outil formidablement précieux pour comprendre le monde. Et personne mieux que lui n’explique pourquoi au Brésil le «foot beau» est sport national, pourquoi en Allemagne ce peut être aussi «foot, business et Pegida», évoquant le Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes, mouvement de droite populiste qui défend le nationalisme allemand et l’anti-islamisme, pourquoi Lev Yachine, gardien de but de la sélection de l’URSS (1954-1967), Ballon d’or 1963 et nommé «meilleur gardien de but du XXe siècle», demeurera à jamais «la sentinelle rouge»…
Même dévoré par la passion, Olivier Guez n’est pas dupe. Ainsi, peu avant la finale de la Coupe du monde qui, le 15 juillet 2018, opposait la France et la Croatie, il lançait : «Épargnez-nous une deuxième saison de « black, blanc, beur »» et ajoutait : «Je redoute une victoire de l’équipe de France (…) Non sur le terrain… mais sur les plateaux, les forums et dans les tribunes (des journaux). Ils s’échauffent déjà, les sociologues, tous ceux qui voudront instrumentaliser un éventuel triomphe.»
De Garrincha au Pibe de Oro
Et de développer : «C’est l’équipe de France du début du XXIe siècle, de la mondialisation et des grandes migrations. Mais ne lui faites rien dire – ou pas trop – sur notre communauté nationale : le football est trop versatile et le ballon capricieux.»
Versatile, le football, mais capable d’offrir des moments, des périodes de grâce ultime. Avec des joueurs «magiques» comme Garrincha le dribbleur, Johan Cruyff le «Hollandais volant» ou encore George Best, qui a fait côtoyer football et rock’n’roll. Avec des entraîneurs «fuoriclasse», comme Cesar Luis Menotti, l’Argentin…
Et puis, dans cette passion qu’a contractée Olivier Guez, il y a Diego Armando Maradona, ce joueur qu’on surnommait «El Pibe de Oro» (le gamin en or). Ce joueur doué comme un dieu et habité par le diable, ce joueur que Guez met sur le même plan du génie que le peintre italien Caravage, et qui emmenait à tout coup tout passionné de l’art du ballon au «pays du cerf-volant cosmique»…
Serge Bressan
Une passion absurde et dévorante, d’Olivier Guez. Éditions de l’Observatoire.
Biblio-foot
À chaque grand événement sportif, c’est la tradition dans le monde de l’édition et des librairies : un flot de livres consacrés à l’événement (ou à ses à-côtés) surgit dans les rayons. On en trouve pour tous les âges, pour tous les goûts. Des essais, des témoignages, des biographies (malheureusement bâclées et le plus souvent ni faites ni à faire, commises par des tâcherons de la plume), des BD et même des mangas.
Ainsi, une sélection (toute subjective) d’ouvrages récemment parus consacrés à l’Euro 2021 et aussi au ballon rond, sport le plus pratiqué dans le monde.
Les livres jeunesse
Pour les amateurs (petits et grands) de mangas, on trouve les deux premiers tomes de Blue Lock par Muneyuki Kaneshiro (Pika), et on peut s’arrêter également à la collection «Tous champions!», consacrée à quatre joueurs de l’équipe de France : Kylian Mbappé, N’Golo Kanté, Hugo Lloris et Paul Pogba (Hugo Sport).
Ensuite, pour les petits lecteurs (6-9 ans), un livre-documentaire, Le Football de Stéphanie Ledu (Milan Jeunesse) et, aussi, le quatrième et nouveau volet des aventures des Petits Toltèques d’Aurore Aimelet (Hatier Jeunesse). Toujours pour les jeunes lecteurs (et pourquoi pas, pour leurs parents également!), le huitième tome de la vie du jeune champion de foot Jo : Le Premier Duel de Sylvain Zorza (Bayard Jeunesse).
Les tout-petits non plus ne sont pas oubliés par les éditeurs! Par exemple, pour les «bambini» de 1 à 4 ans, on peut leur glisser Timoté joue au foot d’Emmanuelle Massonaud (Gründ)…
La bande dessinée
La bande dessinée n’est pas en reste, avec trois nouveautés : le quinzième volume de la série Les Foot-maniacs d’Olivier Sulpice et Mes plus beaux gestes, deuxième tome dans la série Les Petits Foot-maniacs de Christophe Cazenove et Olivier Saive (Bamboo), puis Les Foot furieux à l’Euro de Gürcan Gürsel (Kennes Édition). Toujours au rayon BD, on trouvera le premier tome de Ma bande olympique, un livre signé Manu Causse et Antonin Faure (Belin Jeunesse) : Max et quatre de ses amis montent une équipe de foot et décident d’organiser leur premier tournoi.
Pour les adultes
Au rayon adultes, une biographie de belle facture consacrée au sélectionneur des Bleus de France : Didier Deschamps. La victoire et rien d’autre de Bernard Pascuito (Éditions du Rocher). «DD» présente l’un des palmarès les plus beaux et étoffés du football français. Il est hanté par la «gagne», s’est vêtu des habits d’un héros du quotidien qui s’est inventé un destin extraordinaire et qui ne cesse de le parfaire. Un texte écrit avec empathie, une enquête précise et rigoureuse menée par Pascuito, qui fut un temps journaliste avant de passer écrivain et éditeur.
On lira avec plaisir Football Club Geopolitics de Kévin Veyssière (Max Milo), soit 22 histoires de matchs qui ont dépassé l’enjeu sportif pour devenir une guerre géopolitique. Et aussi les deux productions de Vincent Duluc, Les Mots du football (Points / Seuil) et Les (Vrais) Maîtres du jeu (L’Équipe / Solar), un livre consacré aux «indispensables joueurs de l’ombre», ceux sans qui les rois du jeu ne pourraient jamais régner…
S. B.