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[Littérature] La métamorphose de Nick Cave


Au fil des pages et des questions, on comprend que, plus que le chanteur et musicien, c’est l’écrivain qui s’exprime. (Photo : megan cullen)

Artiste pluridisciplinaire, Nick Cave s’est prêté au jeu des questions réponses avec Seán O’Hagan pendant près de quarante heures. En résulte la métamorphose d’un homme si durement marqué par la vie…

Dès les premières lignes, c’est dit : «Franchement, comment peut-on avoir envie de donner des interviews? En général, les interviews, ça craint. Vraiment. Ça te bouffe. J’ai horreur de ça. Le principe même est tellement avilissant (…) Il me fallait toujours du temps pour m’en remettre. Comme si je devais retrouver qui j’étais. Donc, il y a à peu près cinq ans, j’ai décidé d’y renoncer.» Pourtant, pendant près de quarante heures, Nick Cave s’est prêté au jeu des questions réponses avec Seán O’Hagan, journaliste irlandais adepte des entretiens au long cours. Résultat : Foi, espérance et carnage, un livre de 360 pages, débuté par téléphone en août 2020, et poursuivi au fil des confinements consécutifs à la pandémie de Covid-19.

À 66 ans, Nick Cave est présenté comme un artiste pluridisciplinaire. Chanteur et musicien avec le groupe punk The Birthday Party, le grand escogriffe dégingandé, natif de Warracknabeal, en Australie, s’est surtout fait connaître dès 1984, aux côtés de ses Bad Seeds («les mauvaises graines»). Le hasard de la vie, ses pas de côté (avec la drogue) ou encore les deuils (deux fils morts, l’un en 2015, l’autre en 2022) l’ont amené, après le carnage, sur des rivages d’espérance. Ce qui, dans un entretien accordé à son ami Seán O’Hagan, lui fait dire, avec tout le charme de la poésie : «On a beau changer de peau plusieurs fois, on reste toujours le même serpent.»

On a beau changer de peau plusieurs fois, on reste toujours le même serpent

Amis, malgré quelques divergences, le musicien et le journaliste ont évoqué la vie personnelle, la musique, la peinture, l’écriture, la littérature avec des auteurs que Cave apprécie particulièrement : William Blake, Philip Larkin ou encore Flannery O’Connor. Très vite, l’Australien s’est imposé dans ce monde du rock souvent agrémenté à la guimauve – conséquence : il est tenu pour l’un des plus grands auteurs-compositeurs-interprètes de l’époque avec Patti Smith, Leonard Cohen, Bob Dylan ou encore Lou Reed. Que du (très) haut de gamme!

Sur les musiques envoûtantes de Nick Cave, des paroles coupantes et précises comme le geste du chirurgien. D’ailleurs, il est un maître dans l’art d’opérer la nature et les âmes humaines. Les vies cabossées, il connaît. Le fond du gouffre, là où c’est bien glauque, il connaît aussi. Il aurait pu y rester et s’y complaire… «That’s all rock’n’roll» : un monde pourri, d’angoisses, de malheurs.

«Notre langue est très pauvre dès qu’il s’agit du deuil»

Et puis, comme par miracle, le temps de la rédemption. La foi et l’espérance. Nick Cave raconte son chemin vers la sérénité : «Moi qui étais contraint de faire mon deuil en public, j’ai dû trouver le moyen de mettre des mots sur les événements. Et trouver le langage approprié m’a offert une issue. Notre langue est très pauvre dès qu’il s’agit du deuil. Dans nos sociétés, nous ne sommes pas habitués à en parler, parce que c’est trop dur à aborder, et, surtout, trop dur à entendre. Il y a tant d’endeuillés qui gardent le silence, murés dans leur esprit, dans leurs pensées secrètes, avec les morts eux-mêmes pour seule compagnie.»

Au fil des pages et des questions, on comprend que, plus que le chanteur et musicien, c’est l’écrivain qui s’exprime, l’auteur de Et l’âne vit l’ange (1995), King Ink (1998) ou encore La Mort de Bunny Munro (2010). Provocation et lyrisme, encore et toujours… La métamorphose d’un homme si durement marqué par la vie… Foi, espérance et carnage au programme, avec aussi des réflexions sur la mécanique de l’inspiration et de la création, sur ce qui déclenche et nourrit une œuvre. Les meurtrissures ont forgé l’homme, le mari, le père, l’ami… Il assure, au milieu de la soixantaine, encore mûrir. Intransigeant, il est et demeure lumineux, plus que jamais.

Nick Cave et Seán O’Hagan. Foi, espérance et carnage. La Table Ronde / Quai Voltaire