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[Littérature] Jean Echenoz a son Cahier de l’Herne


Collectif

Cahier Jean Echenoz

Les Cahiers de l’Herne

Un jour, il a confié : «Je ne suis pas écrivain, je fais des livres…» Un autre, il a expliqué : «Chaque phrase doit trouver son tempo, son équilibre, sa relation rythmique avec celle qui la précède et celle qui la suit.» Jean Echenoz, 74 ans, né un lendemain de Noël à Orange – la «Cité des Princes» – est l’un des plus éblouissants écrivains français contemporains. Ce qui, prestige ultime, vaut bien un Cahier de l’Herne tout à lui consacré. L’objet, grand format et 242 pages, dirigé par l’éditeur Johan Faerber, regroupe des contributions d’écrivain(e)s, des textes de Jean Echenoz (parmi lesquels, un délicieux Pourquoi j’ai pas fait poète), des documents personnels et aussi quatre textes inédits : J’arrive, Moteur, Rue Erlanger et Baobab.

Un bandeau bleu-vert ceint le cahier, qui dit : «Pour tuer le temps, il relut tous ses papiers d’identité.» Dans ces mots, dans cette phrase, toute la musique «échenozienne» est là. Cette petite musique enveloppante qu’on a tant appréciée dès 1979 avec Le Méridien de Greenwich, puis avec, entre autres, Cherokee (1983, prix Médicis), Les Grandes Blondes (1995, prix Novembre), Je m’en vais (1999, prix Goncourt), jusqu’au dernier en date, Vie de Gérard Fulmard (2020).

L’auteur évoque de loin en loin ses influences : les grands auteurs novateurs du XVIIIe siècle, dont le Britannique Laurence Sterne et Diderot, et aussi les polars de la «Série noire», surtout ceux de Jean-Patrick Manchette. Des universitaires, chercheurs et autres exégètes de la chose écrite se sont penchés sur le cas Echenoz. Ainsi, ils ont défini son écriture comme «minimaliste» ou encore «postmoderne», se basant sur la longueur de ses livres; par exemple, Un an (1997) ne compte que 110 pages !

Le monde d’Echenoz est une nouvelle littérature, tout en modestie et en effacement

Dans un brillant avant-propos en ouverture du Cahier, Johan Faerber explique qu’avec Le Méridien de Greenwich, «Echenoz écrit comme après le roman. Il raconte, et cela, depuis un point neuf de diction et de fiction par lequel les narrateurs apparaissent à chaque fois comme des hommes qui, à mots couverts, ont saisi combien la littérature, c’est fini !

Dans Cherokee, le personnage de Fernand ne dit pas autre chose : « Tout est fini. Les gens ne lisent plus. » (…) En ce sens, les narrateurs d’Echenoz se donnent bel et bien comme ceux qui entreprennent de reprendre le roman, à savoir de le raconter depuis des souvenirs épars qui leur en demeurent, comme si chaque roman d’Echenoz portait en son cœur non pas un roman mais la narration de ce qui reste du roman, après la grande disparition de la littérature.»

Le monde «échenozien» est empli de méridiens. Des mobiles, d’autres plastiques. Depuis plus de quarante ans, l’auteur, «un écrivain mesuré, feutré et discret, à rebours du spectaculaire d’un Sartre mais aussi à la différence du néant médiatique d’un Blanchot», comme le définit Faerber, nous offre une nouvelle littérature. Tout en modestie et en effacement, à l’image de son auteur qui, loin de l’agitation du monde littéraire, a choisi de se consacrer à l’œuvre. Alors, «être ou ne pas être Jean Echenoz, voilà, en gros, le genre de questions que tout apprenti écrivain de langue française doit se poser pour affronter son désir d’écriture», (se) demande l’écrivain Laurent Mauvignier, un auteur estampillé Éditions de Minuit, cet éditeur auquel Jean Echenoz est fidèle depuis son premier roman.

Un jour, l’écrivain a glissé : «Un livre, c’est chaque fois relancer les dés, on ne sait pas ce qui va sortir…» Nous, nous savons : de ce lancer de dés, il sortira un livre signé Jean Echenoz, et ce sera un bonheur renouvelé, retrouvé…