Une longue route pour m’unir au chant français est un texte autobiographique qui évite le piège de l’autocomplaisance.
L’un dit : «Il est sourcier, calligraphe, peintre». Un autre précise : «Il est un poète initié par Rilke». À 93 ans, François Cheng est un des poètes français parmi les plus connus. Membre de l’Académie française depuis 2002 où il sera à jamais le premier Asiatique élu, il se pose pour un regard en mode rétro. Ce qui donne un texte somptueux au titre délicieux : Une longue route pour m’unir au chant français.
Un texte pour une histoire étourdissante. Un texte autobiographique qui n’a rien de l’autocomplaisance si fréquente dans ce genre d’exercice. Le texte d’un passeur entre deux rives, d’un constructeur de ponts qui n’abolit pas les différences.
À Nanchang, Cheng Chi-hsien est né chinois en août 1929. Il sera naturalisé français en 1971. Jusque-là (et aujourd’hui encore), sa vie fut une longue route. Il grandit dans une famille de lettrés et d’universitaires, arrive en France en 1948 avec ses parents (le père ayant été nommé à Paris à l’Unesco). L’année suivante, la famille émigre aux États-Unis.
La passion de la culture française
Le jeune homme, 20 ans, décide de rester et justifie sa décision par sa passion de la culture française. Ce sera le temps des «vaches maigres», entre dénuement et solitude. Ce sera aussi le temps de l’étude de la littérature française.
Ainsi, dans les années 1960, après l’obtention du diplôme de l’École pratique des hautes études (EPHE), il enseigne au Centre de linguistique chinoise, puis sera chargé d’un cours, en 1969, à l’université Paris-VII. Ce sera le temps où il traduit des poèmes français en chinois et des chinois en français…
En 1974, naturalisé français trois ans auparavant, il devient maître de conférences, puis professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales. Lors de son arrivée en France en 1949, François Cheng ne parlait pas un seul mot de français…
«Me voilà acculé à jeter un regard sur le chemin parcouru»
En ouverture d’Une longue route pour m’unir au chant français, l’auteur confie : «Grâce à mon itinéraire passablement hors norme, je suis devenu un être complexe qui échappe à ma propre compréhension… Durant le confinement, j’ai ainsi pu lire un ouvrage que je venais de recevoir, rassemblant les interventions d’un colloque qui avait eu lieu un an auparavant à l’université Bordeaux-Montaigne. Nous étions en 2020. Le monde entier faisait face au ravage d’un virus meurtrier, et chaque personne faisait face à son propre destin. Moi-même, parvenu à l’âge de 91 ans, me voilà acculé à jeter un regard sur le chemin parcouru.»
Longue route, cheminement patient, aventure poétique… Et au grand écrivain-poète Claude Roy (1915-1997), un jour, d’évoquer François Cheng, «un vivant démenti de l’adage de Kipling selon lequel l’Est et l’Ouest ne peuvent se rencontrer tout à fait».
Après de nombreuses publications, il connaît une première consécration en 1998 avec l’attribution du prix Femina pour Le Dit de Tianyi, un texte dans lequel il raconte un voyage en Chine lors duquel il retrouve le peintre Tianyi qu’il avait connu dans le passé et qui lui remet ses confessions. Ce dernier, parti en Occident où il a vécu la misère, y a découvert une autre vision de la vie et de l’art.
Tout l’art de François Cheng et son amour immense pour la langue française sont dans ce livre – tout comme dans Une longue route pour m’unir au chant français.
Et avant de fermer (avant d’y vite revenir) le livre, on écoute François Cheng de sa voix douce, lente et posée : «Que de fois te supposant loin / nous sentons Mort / ton haleine sur notre nuque / Que de fois te cherchant ailleurs / nous surprenons / ton ombre à nos talons»… Et c’est ainsi que François Cheng est le poète définitif de l’authentique et de l’universel.
Une longue route pour m’unir au chant français,
de François Cheng.
(Gallimard)
Magnifique!