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[Littérature] Faut-il protéger la maison de Céline ?


«Sans protection, la maison pourrait être condamnée», dixit David Alliot, de la Société d’études céliniennes. (Photo : AFP)

Que va devenir la maison de Louis-Ferdinand Céline à Meudon, près de Paris, après le décès de sa veuve et son achat par un particulier ? Certains plaident pour sa préservation, d’autres craignent d’en faire un «lieu de pèlerinage».

«La maison de Céline doit être inscrite à l’inventaire du patrimoine», déclare Jack Lang, qui avait entamé des démarches infructueuses en ce sens dès 1992. Pour Stéphane Bern, chargé de la mission patrimoine par le président Emmanuel Macron, «l’œuvre de Céline mérite d’être lue». «Mais sa vie est plus controversée et il faudrait éviter que cela devienne un lieu de pèlerinage pour ceux qui veulent récupérer l’auteur à des fins polémiques.»

Auteur de violents pamphlets antisémites, proche du régime de Vichy qui collabora avec l’Allemagne nazie et médecin de formation, Louis-Ferdinand Destouches, alias Céline, est considéré comme l’un des plus grands écrivains du XXe siècle. Confrontée à une levée de boucliers après l’annonce d’une réédition de ses pamphlets, la maison d’édition Gallimard avait préféré suspendre ce projet l’année dernière. Louis, disparu en 1961, et son épouse Lucette, qui vient de s’éteindre à 107 ans, se sont installés dans la «Villa Maïtou», à Meudon, en 1951.

Rejeté par le milieu littéraire, l’auteur trouve dans ce pavillon de style Louis-Philippe le havre nécessaire à l’écriture de trois chefs-d’œuvre : D’un château l’autre (1957), Nord (1960) et Rigodon (1969, posthume). Cette trilogie lui permet de retrouver l’audience de Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit. C’est là qu’il reçoit Marcel Aymé, Roger Nimier, Michel Simon ou Arletty.

«Pas de protection au titre des monuments historiques envisagée»

«Jack Lang voulait la classer, le préfet a refusé», résume Me François Gibault, avocat de la famille de Céline et président de la Société d’études céliniennes. L’État a laissé l’année dernière la veuve de Céline vendre en viager la maison – restaurée après avoir brûlé en 1968. «Le ministère de la Culture m’a dit qu’il ne voulait pas l’acheter», précise Me François Gibault. «Le nouveau propriétaire en fera ce qu’il voudra.» À la Direction des patrimoines du ministère, on reconnaît qu’«il n’y a à ce jour pas de protection au titre des monuments historiques envisagée».

«Céline n’y a vécu qu’une dizaine d’années», justifie Jean-Michel Loyer-Hascoët, adjoint au directeur. La maison «est située à la fois en abords de monument historique et en site inscrit au titre du code de l’environnement, à ce titre tous travaux sont d’ores et déjà soumis à avis de l’ABF (Architecte des bâtiments de France)», rassure-t-il. «Personne ne nous a signalé qu’il y avait une urgence», dit Anne-Laure Sol, conservateur du patrimoine à la Région Île-de-France.

«Pourquoi pas en faire une résidence d’écrivain ?»

«Elle a été vendue en viager, il n’y a rien de plus à dire», tranche-t-on au cabinet du maire de Meudon. Ce désintérêt apparent pour la demeure de Céline contraste avec l’engouement à travers la France pour les maisons d’écrivains, controversés ou pas. Stéphane Bern a obtenu que la maison à Rochefort de Pierre Loti – auteur de textes antiarméniens et antisémites – bénéficie d’une restauration financée par le loto du patrimoine. Saint-Paul-de-Vence vient de racheter la «Villa Alexandrine» dans laquelle vécut l’écrivain polonais Witold Gombrowicz de 1964 à 1969, y aménageant un «espace muséal Gombrowicz».

Cabourg inaugurera en 2020 une «Villa du temps retrouvé» dans une maison sans lien direct avec Marcel Proust… Pour David Alliot, de la Société d’études céliniennes, «la maison mériterait d’être protégée (…) Pourquoi pas en faire une résidence d’écrivain ?»

Or, sans protection, la maison pourrait être condamnée, bien que Me François Gibault estime que son propriétaire actuel «s’en occupera bien». «On ne peut rien faire tout seuls», explique Sophie Vannieuwenhuyze, déléguée générale de la Fédération nationale des maisons d’écrivain et patrimoines littéraires. «S’il y a un projet, on fera notre possible pour aider (…) ce serait bien qu’on garde une trace.»

AFP