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[Littérature] Derrière le mystère Saint-Exupéry


À 80 ans de la mort de l’auteur du Petit Prince, disparu en mission à bord de son avion, retour sur le parcours de Luc Vanrell, l’homme qui a retrouvé son épave.

Le 31 juillet 1944, l’avion d’Antoine de Saint-Exupéry disparaît entre Marseille et Toulon lors d’une mission pour préparer le débarquement allié en Provence : il faudra presque 60 ans pour que le plongeur Luc Vanrell retrouve son épave, plus encore pour résoudre le mystère de sa mort. «Il y a toujours eu des équipes de chercheurs qui relançaient des investigations pour localiser le lieu de son crash et trouver son épave. C’était devenu un enjeu quasi mystique», se rappelle le plongeur et archéologue au moment de commémorer les 80 ans de la disparition du père du Petit Prince, qui a été pilote d’avion dans le civil, puis dans l’armée durant la Seconde Guerre mondiale.

Dans son parcours, le Marseillais de 64 ans a découvert de nombreux trésors sous-marins, participant notamment aux recherches sur la grotte Cosquer, antre préhistorique aux dizaines de peintures rupestres dont l’entrée est aujourd’hui à près de quarante mètres sous l’eau dans le parc national des Calanques. Mais pour Saint-Exupéry, il se disait d’abord «absolument pas intéressé par les recherches sur sa disparition». «C’était le beau héros de ma jeunesse, mon vecteur littéraire pour l’aventure et je trouvais que sa disparition seyait particulièrement bien à son personnage. Il avait disparu comme le Petit Prince et ça me convenait très bien», insiste-t-il.

Probabilité quasi nulle

Pourtant, Luc Vanrell repère dès 1984, près de l’archipel de Riou, au sud de Marseille, ce qu’il croit être les restes d’une épave d’un avion allemand, sans pousser les recherches à ce moment-là. Quatorze ans plus tard, un patron-pêcheur remonte dans la même zone maritime une gourmette au nom de Saint-Exupéry : «La probabilité de retrouver un objet aussi petit dans la Méditerranée, dans les mailles d’un chalutier», est pratiquement «nulle», s’étonne encore aujourd’hui Luc Vanrell. «Là, forcément, les réflexes s’enchaînent : y a-t-il un lien entre les vestiges et la gourmette? Et ça va être le départ d’une très longue aventure qui mènera jusqu’aux circonstances de la mort d’Antoine de Saint-Exupéry.»

Luc Vanrell plonge en 2000 pour analyser l’épave, en réalité les restes de deux avions tombés à deux moments différents, à 85 mètres de profondeur : un Messerschmitt 109 allemand et un Lightning P-38. «Très rapidement», le plongeur peut «authentifier» l’avion d’Antoine de Saint-Exupéry, grâce notamment à un numéro de série. Commence alors l’enquête historique pour déterminer les circonstances de la mort de l’écrivain, réalisée avec deux collègues, Philippe Castellano et Lino van Gartzen. Et qui devient importante pour Luc Vanrell, pour rendre «au héros de (sa) jeunesse sa juste place dans l’histoire» et «confirmer qu’il est bien mort pour la France», alors que certains pensaient qu’il était mort en se suicidant ou en fuyant le combat.

Abattu par un admirateur

Saint-Exupéry a été abattu quinze jours avant le débarquement des troupes alliées en Provence; pour les aviateurs, «la phase préparatoire la plus tendue, puisqu’il s’agit d’aller faire du renseignement en amont» de cette opération militaire dangereuse, raconte Luc Vanrell. En mission de reconnaissance en Savoie, «Saint-Ex» est repéré dans le ciel de Grenoble, puis intercepté et abattu par l’aviation allemande dans les Calanques près de Marseille, alors qu’il tente de rallier la Corse.

Avec ses deux collègues, Luc Vanrell se tourne donc vers les vétérans de la base allemande d’où est parti l’avion qui a abattu l’auteur français, les archives qui auraient pu permettre d’identifier le pilote ayant été détruites. En 2006, Lino van Gartzen remonte jusqu’à un pilote, Horst Rippert, ironiquement admirateur de l’auteur du Petit Prince. Il faudra encore deux ans pour que le trio d’enquêteurs réussisse à le convaincre de témoigner publiquement.

Et même si aucune preuve matérielle ne peut étayer son témoignage, «aujourd’hui, on peut affirmer que Saint-Exupéry a été abattu par un intercepteur du groupe de chasse 200 le 31 juillet 1944 en fin de matinée. Qu’a priori, cet intercepteur est bien Horst Rippert», résume Luc Vanrell. Concernant son enquête sur la mort de Saint-Exupéry, le plongeur-archéologue conclut : «Ma seule fierté sera d’avoir pu lui rendre les honneurs qu’il mérite, c’est-à-dire aussi sa gloire militaire.» Le livre Saint-Exupéry. Révélations sur sa disparition, de Luc Vanrell, Lino van Gartzen, Bruno Faurite et François d’Agay, a été publié en 2017.

«Saint-Ex» en cinq repères

«PIQUE-LA-LUNE» Le souvenir illuminé d’un baptême de l’air, à 12 ans, pousse Antoine de Saint-Exupéry à accomplir sa conscription en 1921 dans un régiment d’aviation à Strasbourg. En 1926, il est engagé par la Latécoère (future Aéropostale). Chargé de transporter le courrier de Toulouse au Sénégal, il rejoint en 1929 Jean Mermoz en Amérique du Sud pour développer l’Aéropostale jusqu’en Patagonie. Distrait et indiscipliné, il oublie de faire le plein, de verrouiller une porte qui se détache en plein vol… On le surnomme «Pique-la-Lune». Dans Vol de nuit (1931), il raconte ses années en Argentine.

JOURNALISTE Dès 1932, il travaille pour Marianne, Paris-Soir et L’Intransigeant : il voyage au Vietnam, en Russie… Cet humaniste rentre bouleversé d’Espagne en 1936 : «Les hommes ne se respectent plus les uns les autres. On se fusille comme on déboise.» Pour Paris-Soir, il retourne à Madrid et y rencontre Kessel, Hemingway, Dos Passos. Ses réflexions politiques et philosophiques, consignées dans des calepins, seront éditées dans Carnets (1953). En Allemagne, il constate la montée du nazisme. Après les accords de Munich en 1938, il prédit l’imminence de la guerre.

CONSUELO Chef de l’Aéropostale argentine, il rencontre Consuelo Suncín fin 1930 à Buenos Aires. Belle et excentrique, il épouse cette veuve salvadorienne passionnée de peinture le 21 avril 1931. Leur correspondance dévoile quatorze années d’une relation intense, compliquée d’infidélités. Après la débâcle de 1940, Saint-Exupéry s’exile à New York. Tiraillé entre ses maîtresses et Consuelo restée en France, frustré de ne pouvoir combattre et en complet décalage avec les expatriés, il va mal. Fin 1941, Consuelo le rejoint. Le Petit Prince naîtra à l’été 1942 dans leur maison de Long Island. «Sa fleur, c’était moi. Lui, c’était le Petit Prince. Il avait une fleur à soigner, une fleur qui craignait les courants d’air», raconte-t-elle en 1964.

LE PETIT PRINCE Depuis des années, Saint-Exupéry porte ce «petit bonhomme dans le cœur» : commandé par son éditeur américain, Le Petit Prince sort en 1943 en anglais et en français. Gallimard le publie en France à titre posthume en 1946. Devenu immédiatement un phénomène littéraire, ce conte écoulé à plus de 200 millions d’exemplaires figure parmi les livres les plus vendus au monde et les plus traduits (571 langues), après la Bible.

MORT POUR LA FRANCE Une semaine après la publication du Petit Prince, Saint-Exupéry retourne au front en Algérie. Malade, blessé lors de précédents accidents, on le juge trop vieux à 44 ans pour piloter les nouveaux engins rapides. Il s’entête : les Américains l’autorisent finalement à voler. Parti de Corse le 31 juillet 1944 pour une reconnaissance en Savoie, le commandant ne rentrera jamais de mission. Déclaré «mort pour la France», sa disparition reste longtemps un mystère, levé grâce à l’enquête du plongeur-archéologue Luc Vanrell.

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