Cette semaine, on a lu Denis Podalydès, Les nuits sont transparentes (Seuil).
Dès les premières pages, on lit une belle promesse : «Ici, tu peux créer une petite île agréable à vivre, une vraie vie dans la fausse.» Une promesse signée par le grand metteur en scène allemand Thomas Ostermeier et ses mots ouvrent Les nuits sont transparentes, formidable livre de Denis Podalydès, 58 ans, acteur au théâtre et au cinéma, metteur en scène, auteur et 505e sociétaire de la Comédie-Française, temple qu’il a intégré en 1997.
Dans le passé, «Poda» nous avait déjà glissé, entres autres, l’indispensable Scènes de la vie d’acteur (2006) et l’éblouissant Voix off (2008). Et côté honneurs, récompenses et distinctions, on lui connaît trois Molière (auteur, révélation et metteur en scène) et aussi commandeur des Arts et des Lettres. Ultime précision : depuis quelque temps, il est également un des avis les plus écoutés et influents de la Comédie-Française.
Jeune comédien, Denis Podalydès s’était mis en tête de mettre en scène un jour La Nuit des rois, une pièce de William Shakespeare. Confidence : «Le fond de ce qui m’intéresse dans cette histoire-là, c’est la coexistence de la peur et du plaisir.» Un jour des dernières années 2010, il y repense quand on lui indique qu’il y a un casting pour une prochaine représentation de cette pièce et que le metteur en scène Thomas Ostermeier, par ailleurs patron hors cadre de la Schaubühne de Berlin, souhaite le voir.
Il participe donc à la sélection et est retenu pour le rôle du duc Orsino, celui qui ne parle pas politique à son peuple, mais d’amour. Et ainsi, en 2018, c’est la fin pour Podalydès d’une perspective d’une mise en scène de La Nuit des rois et le début d’une collaboration avec un des grands metteurs en scène de l’époque. Dans un premier temps, l’acteur envisageait l’écriture d’un journal des séances de travail de la pièce shakespearienne – il admet que cela aurait été quand même très convenu. Alors, au directeur de collection Maurice Olender, il propose un journal dans le journal, le compte rendu au plus près d’un «work in progress», en y mêlant des bribes de vie intime.
Il n’est jamais naturel de se produire en public
Ainsi, on lit : «Nous sommes promis à la mort, au regard qui tue. Notre fragilité fait aussi notre force et notre innocence.» Oui, on lit avec bonheur Podalydès quand, avec Les nuits d’amour sont transparentes, il prolonge ses Scènes de la vie d’acteur. Au fil des pages, l’acteur se montre ivre de mots. Ceux des autres. Et réfléchit sur le jeu d’acteur, sur la manière de jouer avec l’autre, avec sa langue, son corps et ses rêves, sur le trac parce qu’il «n’est jamais naturel de se produire en public», sur le travail à la table avec les autres comédien(ne)s («chaque scène est comme un poisson», écrit-il), sur l’intime le plus intime.
Ainsi, il évoque dans ces pages ses deux enfants qu’il se dépêche d’aller retrouver après le travail parce qu’ils «comptent plus que tout», sa mère cloîtrée dans «une vieillesse sourde» et le suicide d’Éric, l’un de ses frères. Dans un récent entretien, il confiait : «Au fin fond de la dépression et de l’alcool, mon frère se détestait tellement, se trouvait si immonde et méprisable que je cherchais des textes pour lui redonner une sorte d’estime de lui-même.» Dans son livre, Denis Podalydès écrit également qu’il aime La Nuit des rois parce que, dans cette pièce, le mot «frère» y est très présent…
Un critique parisien a affirmé, récemment, que depuis Louis Jouvet (1887-1951) personne n’a mieux écrit sur le théâtre. Sûrement parce que, dans La Nuit des rois, «Poda» a baissé le masque, lui qui a incarné, dans «une fête prodigieuse et mélancolique», un magnifique et inoubliable duc d’Orsino en string, sur la scène de la Comédie-Française !
Serge Bressan