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[Littérature] «Bien-être» de Nathan Hill : l’amour à l’épreuve du temps


Nathan Hill n’a pas son pareil pour passer le couple à la moulinette, l’amour à la machine. (Photo : francesca mantovani)

Découvert en 2017 avec Les Fantômes du vieux pays, Nathan Hill sort son deuxième roman, Bien-être, qui aura nécessité sept ans de travail.

Soit Jack et Elizabeth. «Il vit seul au troisième étage d’un vieil immeuble en brique dans vue sur le ciel. Quand il regarde par la fenêtre, il ne voit que sa fenêtre à elle – de l’autre côté de l’étroite ruelle, presque à portée de main, où elle vit seule, elle aussi, au troisième étage d’un autre vieil immeuble. Il ne connaît pas son prénom, ni elle le sien. Ils ne se sont jamais parlé. C’est l’hiver à Chicago.» Quelques pages plus loin, on apprend qu’il «a besoin de légumes dans sa vie. De potassium et de fer. De fibres et de fructose. De céréales denses et savoureuses et de jus colorés», qu’elle «a décoré son appartement de cartes postales des endroits qu’elle a sans doute visités (…) et de reproductions d’œuvres d’art encadrées».

C’étaient les premières années 1990, Chicago vibrait de la bohème artistique où vivent, alors, une étudiante en psychologie et un photographe rebelle. Ils habitent en face l’un de l’autre, s’épient… et vont se rencontrer. C’est Bien-être, le deuxième, épais (près de 680 pages) et étourdissant roman de l’écrivain américain Nathan Hill.

Fan des «livres dont vous êtes le héros»

Cet auteur, on l’avait découvert en 2017 avec son premier roman, Les Fantômes du vieux pays, une fresque américaine qui lui avait demandé dix ans d’écriture. Né en 1975 dans l’Iowa, il a été un peu plus rapide pour ce deuxième roman qui a nécessité toutefois sept ans de travail! Conteur surdoué, il confie sa méthode, se référant à ces «livres dont vous êtes le héros» qu’il dévorait, enfant : «Prendre des personnages, voir pas à pas où les mène telle décision, puis telle autre… J’adorais ça. Et il faut bien dire qu’écrire un roman c’est un peu la version adulte de ce jeu.»

La méthode que le cinéaste Alain Resnais avait déclinée pour son film double, Smoking/No Smoking (1993). La méthode de Nathan Hill pour étudier, muni d’un scalpel, au plus près une vie de couple…

Un étourdissant roman de la manipulation, du paraître, du couple

Ainsi, nous voilà emportés à Chicago. Tout est dans les pages de Bien-être. La ville, ses charmes (s’il en reste), ses tourments… et un homme et une femme. Avec eux, c’est la vie qui va. Une histoire commune entre chronos et kairos – ce qu’explique à Jack un ami d’université : le chronos, c’est «le temps linéaire qu’on peut compter», le kairos, c’est «l’expérience subjective du temps», un «moment décisif dans la vie, un instant de vérité, un changement important, une opportunité».

Ce qui conduit l’auteur à ne pas s’en tenir à l’ordre chronologique des parcours de Jack et Elizabeth. Il se sont épiés, rencontrés; une histoire d’amour commence, ils se marient, ont un enfant (qui se révélera «difficile»), leurs rêves d’avenir diffèrent, les milieux dont ils sont issus divergent, la question se pose : l’amour va-t-il résister au temps qui passe? Vingt ans après la rencontre, la réalité est là : Jack vivote en vacataire à l’université, Elizabeth dirige la clinique du Bien-être.

Nathan Hill n’a pas son pareil pour passer le couple à la moulinette, l’amour à la machine. Bien sûr, Jack et Elizabeth ne veulent surtout pas finir comme tant d’autres couples, eux qui sont entourés de personnages comme Brandie mère et épouse «parfaite», comme Kate et Kyle, couple aussi libre qu’infidèle, ou encore d’autres du temps passé. Texte-évènement de cette rentrée littéraire d’été 2024, Bien-être n’est pas seulement un livre essentiel, c’est aussi le roman de la manipulation, du paraître, de la société contemporaine…

Nathan Hill, Bien-être. Gallimard