Les lettres francophones ont trouvé leur nouveau maître du thriller.
Il s’appelle Bernard Minier, a 60 ans et est entré en fin d’année passée à la septième place dans le «club des 10», celui des meilleurs vendeurs qui réunit Guillaume Musso, Marc Lévy, Amélie Nothomb, Agnès Martin-Lugand ou Michel Bussi… Ce qui fait dire à Bernard Minier : «Frédéric Soulié, ça vous dit quelque chose ? Ce gars était en son temps plus célèbre que Balzac et Dumas… Et George William MacArthur Reynolds, l’écrivain le plus populaire de son époque, qui vendait plus de livres que Dickens ?»
Et d’ajouter : «Tout le monde a des rêves. Le mien était de vivre de ma plume, c’est chose faite ! Et ce dont je n’aurais jamais osé rêver, c’est d’être lu dans le monde entier, d’avoir des lecteurs sur les cinq continents.» En neuf ans, seulement en France, l’écrivain a vendu 4 millions d’exemplaires et, en ce printemps, on le retrouve avec son neuvième thriller, simplement titré La Chasse (XO éditions), pour un premier tirage de 150 000 exemplaires vendus en à peine deux semaines…
Grandi au pied des Pyrénées dans le Sud-Ouest, il fait sa première apparition dans le monde des livres en 2011 avec Glacé – la première enquête de son personnage fétiche, Martin Servaz, et aussi un livre qui prend place dans la liste établie par le Sunday Times britannique recensant les 100 meilleurs polars publiés depuis 1945… Avec La Chasse, lectrices et lecteurs sont prévenus par l’éditeur : «Il y a des ténèbres qu’aucun soleil ne peut dissiper.»
Belle promesse que tout cela, et belle promesse que tient, facile, Bernard Minier ! Une fois encore, en effet, le romancier ne déroge pas à ce que certains mesquins et jaloux pointeront comme une technique-béquille : ce neuvième thriller s’ouvre, comme les précédents, par une scène hallucinante, cette forme surgie de la forêt, un cerf qui a des yeux humains, un homme jeune, noir et quasiment mort avec, marqué au fer rouge, un mot sur la poitrine. Tel un gibier, il a été ensuite pris en chasse par des «justiciers» masqués qui n’avaient rien de Zorro…
Je suis à la fois le metteur en scène, le directeur de la photo, le décorateur, le producteur, j’ai un budget illimité, ça aide
On lit : «Un cerf ! Un putain de cerf ! Il jura. Vit trop tard les grands bois majestueux de l’animal qui se jeta
it devant ses phares pour traverser la chaussée (…). À l’ultime instant, avant d’être heurté par la voiture, le cerf tourna son regard vers lui, et il entrevit deux yeux pleins de frayeur, deux yeux presque humains, dans l’incendie des phares», et aussi : «Ce n’était pas un animal qui gisait sur la route : c’était un homme.»
Explication de Bernard Minier : «Ce prologue est fidèle à ce que j’aime faire quand je commence une histoire, c’est une sorte de rituel, de liturgie : une scène qui d’emblée saisit le lecteur à la gorge, le plonge la tête la première dans quelque chose d’à la fois très angoissant et très mystérieux, une façon de lui faire comprendre que ça va secouer, que je ne vais pas lui laisser le temps de souffler, une façon de lui dire : « Accroche-toi, c’est parti pour le grand huit émotionnel ».»
Résumé, on dira que La Chasse, ce sont un homme nu, coiffé d’une tête de cerf et pourchassé dans la forêt ariégeoise par des inconnus, et un flic quasi anti-héros, accompagné de son équipe. L’enquête va se trimballer de petits délinquants en ex-militaires sans oublier des policiers pas très clairs. La Chasse, c’est aussi une chasse à l’homme avec des pistes brouillées par le gibier et des meurtriers masqués… On n’oublie pas le décor – de grande importance dans tous les livres de Bernard Minier. Et, pour parfaire le tout, on y ajoute manipulations, violences («quotidiennes et banales») et règlements de comptes.
Plus encore que dans ses livres précédents (dont La Vallée, parue en 2020), Bernard Minier fait dans La Chasse écho au climat politico-social de l’époque. C’est en creux, au fil des pages : le racisme, la violence, les Gilets jaunes, les magouilles politiques et financières, la pandémie… Oui, les lendemains sont angoissants, nous glissent Bernard et son enquêteur Martin Servaz, 52 ans (il en avait 40 dans Glacé), qui, depuis La Vallée, n’est plus seul – il a trouvé une compagne, Léa, pédiatre qui lui apporte force et équilibre… Ultime confidence du romancier : «J’ai une écriture assez visuelle, cinématographique… J’ai l’habitude de dire que je suis à la fois le metteur en scène, le directeur de la photo, le décorateur, le producteur, et que j’ai un budget illimité, ça aide…»
De notre collaborateur, Serge Bressan