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[Littérature] Anne Sinclair recompose son passé


En près de 400 pages, Anne Sinclair se livre simplement et chronologiquement, en avouant toutefois qu’elle n’essaie pas d’être «exhaustive et sincère», mais «juste». (photo Gérard Harten)

Star de la télévision, Anne Sinclair avoue avoir mangé son chapeau avec la publication de ses mémoires. Un livre titré Passé composé (Grasset) dans lequel elle raconte les grands bonheurs de la vie et les épreuves qui l’ont écorchée, dont l’épisode DSK…

En fin de XXe siècle, elle fut une «téléstar», donnant rendez-vous aux téléspectateurs le dimanche en fin d’après-midi. Ce fut, du 12 septembre 1981 au 6 juillet 1997 sur TF1, 7 sur 7, une émission d’actualités mêlant sujets de politique française et étrangère, de société, d’économie, commentés par un(e) invité(e). Ainsi, sur ce plateau de télévision, se sont succédé des personnalités aussi diverses et variées que Patrick Bruel, Yves Montand, François Mitterrand, Nicolas Sarkozy ou encore Madonna. Ces temps-ci, à 72 ans, Anne Sinclair s’est glissée en librairie. C’est Passé composé, un premier tirage à 60 000 exemplaires pour un livre que l’on retrouve déjà dans le top 5 des ventes, trois semaines après sa sortie. Pourtant, dès les premières lignes du prologue, l’auteure a prévenu : «Avancer en âge invite parfois à se retourner sur soi : l’avenir se raccourcit, le passé est un refuge. Je n’échappe pas à la règle, après avoir prétendu l’ignorer ou l’avoir même moquée. Je me suis longtemps refusée à imiter les confrères qui publient leurs mémoires, persuadés que leur moi mérite exhibition et que les épisodes de leurs vies personnelle et professionnelle suscitent l’intérêt.»

Et puis, il y a eu cette année immobile, conséquence d’un virus nommé covid-19. Journaliste depuis les premières années 1970 et longtemps résumée par des plumitifs paresseux en manque d’inspiration à ces pulls en mohair qu’elle portait parfois à l’écran, Anne Sinclair s’est posée. A consigné des notes et des souvenirs. Pointé une interrogation : n’étant pas seulement la présentatrice d’une émission télé et ne se reconnaissant pas dans la femme qui a fait des milliers de unes de journaux, «je me demande ce qui, de tout cela, peut rester pertinent». Chez cette femme de grande élégance, il y a de la pudeur, de l’humilité et de la lucidité aussi : «Le journalisme est un métier comme un autre et la télévision, qui gonfle les ego, n’est souvent qu’une usine à baudruches.» N’empêche, alors qu’elle avait dit et répété qu’au petit jeu narcissique, on ne la prendrait pas, elle a conjugué sa vie en mots d’un passé composé. Et d’avouer : «Publier cet ouvrage m’oblige à manger mon chapeau.»

Piques et confessions

Pour ce Passé composé, Anne Sinclair n’a pas cherché la technique de l’autobiographie déstructurée ou des mémoires éclatés; elle a fait dans la simplicité, opté pour le récit chronologique. Quatorze chapitres pour près de quatre cent pages. Les débuts dans la vie, une gentille fille, une vocation et ses premières années de journaliste à L’Express (où elle était tétanisée à l’idée de se retrouver dans l’ascenseur avec Françoise Giroud) et Europe 1 (où elle a connu son premier mari, Ivan Levaï, «inventeur» définitif de la revue de presse à la radio)… Quelques chapitres pour évoquer l’odeur du vendredi, Château-Chinon – le fief de François Mitterrand –, les femmes et hommes politiques – dont Nicolas Sarkozy, sur qui elle lance une flèche cinglante –, le petit monde du petit écran…

Dans ces pages, elle n’hésite pas à confesser qu’elle n’a «jamais eu une bonne opinion (d’elle)-même», qu’elle est «fondamentalement craintive, pusillanime et timorée, avec des sursauts d’audace maîtrisés» et «une bourgeoise, probablement pas aussi conformiste qu’on le croit». «J’admets n’être pas entrée en rébellion contre le système. Je déteste l’expression « gauche caviar » dont on m’a affublée, mais qui sait si elle ne me convient pas un peu quand même ?»

«Le chapitre impossible»

Évidemment, parce que l’auteure a tenté «d’être juste», «pas forcément exhaustive et sincère», elle évoque «les grands bonheurs de la vie et les épreuves qui (l)’ont écorchée». Parmi ces épreuves, il en est une qui a fait la une de milliers de journaux à travers le monde. Anne Sinclair ne se dérobe pas, elle a écrit le treizième chapitre, l’avant-dernier de ce Passé composé, avec pour titre «Le chapitre impossible». Une petite quarantaine de pages pour évoquer le scandale du Sofitel de New York.

Printemps 2011, elle est alors mariée à Dominique Strauss-Kahn, patron du Fonds Monétaire international (FMI) et grand favori de la gauche française pour succéder à Nicolas Sarkozy à la Présidence de la république. Addict à la gente féminine, «DSK» impose une relation à une employée de l’hôtel new-yorkais. Il est arrêté, emprisonné, libéré sous caution et contraint à une résidence surveillée à New York. Anne Sinclair est à ses côtés. Aujourd’hui, interrogée sur la raison qui l’a menée à rester près de son mari, elle explique : «On ne quitte pas un homme à terre.» Quelque temps plus tard, un autre scandale, celui du Carlton de Lille, éclatera. Cette fois, c’en est trop, c’est le divorce. Depuis, c’est le temps de la renaissance, elle vit d’amour avec Pierre Nora, sommité intellectuelle, historien et membre de l’Académie française. «Chacun de son côté, précise-t-elle. Nous nous retrouvons pour partager uniquement les bons moments.» Un passé composé pour une vie singulière…

De notre correspondant à Paris, Serge Bressan