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[Littérature] Almodóvar sur tous les fronts


Interrogé peu avant la parution du recueil, l’Espagnol confessait : «Dans le monde des écrivains, je me sens un peu comme un intrus. Je les admire tant…» (Photo : afp)

En cette fin d’été, Pedro Almodóvar est sur tous les fronts. Outre son triomphe récent à Venise et une expo photo à Madrid, il publie Le Dernier Rêve, un recueil de douze récits tout en anxiété, mélancolie et ennui existentiel.

Une confidence : «J’ouvre la porte sur une partie de ma vie dont je n’ai jamais parlé.» Et encore, après avoir ressorti des histoires qui prenaient la poussière dans de vieux classeurs bleus : «Je n’étais pas satisfait de ma performance d’écrivain. Je trouvais mes récits puérils et prudes. Pourtant, quand je les ai relus, j’ai été agréablement surpris. Je m’y suis retrouvé. Finalement, je suis toujours le même.»

À 74 ans, Pedro Almodóvar, figure essentielle de la «Movida» en Espagne au carrefour des années 1970-1980, s’invite pour la deuxième fois en librairies avec Le Dernier Rêve, un recueil de douze récits. Le cinéaste espagnol avait publié en 1991 un éblouissant premier livre, Patty Diphusa. La Vénus des lavabos, dans lequel une sex-symbol toxico et «star internationale du porno» était invitée par un directeur de revue branchée à raconter ses mémoires – comme elle ne dort jamais, elle avait beaucoup de choses à dire.

«J’ai toujours refusé d’écrire mon autobiographie»

La superstar du cinéma mondial aura donc attendu plus de 30 ans pour revenir au livre. Pour Le Dernier Rêve, il réunit des textes écrits de la fin des années 1960 à aujourd’hui pour, comme «une incursion fascinante dans (son) imaginaire baroque», indique son éditeur français. Dans une courte et dense introduction, l’auteur précise : «J’ai toujours refusé d’écrire mon autobiographie (…) Je n’ai jamais tenu de journal intime : chaque fois que j’ai essayé, je n’ai pas dépassé la deuxième page. Ce livre constitue donc ma première contradiction. C’est ce qui ressemble le plus à une autobiographie morcelée, incomplète et quelque peu cryptique.»

Et là, dans le creux des douze récits (dont quatre qui sont des «captures de ma vie à l’instant où je la vivais, sans une once de distance»), on a donc tout sur Almodóvar, qui prend encore soin d’indiquer dans une adresse au lecteur : «Ce recueil de récits (je donne le nom de récit à tout, sans faire de distinction entre les genres) montre le lien étroit entre ce que j’écris, ce que je filme et ce que je vis.»

Une autobiographie morcelée, incomplète et quelque peu cryptique

Ici en mots dans les pages, là en images sur l’écran, Almodóvar est un grand et délicieux raconteur d’histoires. Avec d’inoubliables personnages, dont certains qui paraissent familiers. Il y a ce jeune travesti, «cette fille de vingt-cinq ans environ qui attire l’attention des passants à cause de sa tenue extravagante», et qui va affronter le prêtre qui l’a détruite pour toujours. Il y a León, bourreau des cœurs qui s’en prend à son amant metteur en scène, et qui brille sur les planches du théâtre en se glissant dans le rôle de Blanco, version masculine de la Blanche DuBois d’Un tramway nommé Désir… Au fil des pages, Almodóvar note, consigne, pointe ses anxiété, mélancolie et ennui existentiel.

Dans le récit magnifique qui donne titre à ce recueil, il raconte ce dernier rêve que leur mère, quelques heures avant sa mort en septembre 1999, a raconté à lui et à son frère Agustín : «Tout ce qu’elle a dit lors de cette dernière visite, à partir du moment où elle nous a demandé s’il y avait de l’orage, est resté gravé dans ma mémoire. Ce vendredi était un jour ensoleillé et la lumière entrait par la fenêtre. À quel orage ma mère faisait-elle référence dans son dernier rêve?»

Interrogé peu avant la parution du recueil, l’Espagnol confessait : «Dans le monde des écrivains, je me sens un peu comme un intrus. Je les admire tant…» Et, pour mieux se faire comprendre, de préciser : «Avoir publié ce livre ne fait pas de moi un écrivain non plus. Je n’en ai pas honte et je crois qu’il vaut la peine d’être lu. Mais la grande littérature, c’est autre chose. Moi, je veux seulement que mes livres soient divertissants.»

Le Dernier Rêve, de Pedro Almodóvar. Flammarion.

Une femme qui agonise

Partout où, depuis la fin des années 1980, il participe à un festival, il repart après de longues séances de standing ovation pour le moins, voire avec des récompenses. Ainsi, Pedro Almodóvar a reçu deux Oscars, quatre César, trois prix à Cannes, neuf Goyas, cinq Bafta ou encore trois récompenses à la Mostra de Venise, dont la plus récente et la plus prestigieuse, le Lion d’or (qui vient après celui de 2019, honorifique), a été reçue le 7 septembre pour son nouveau film, The Room Next Door… en attendant de recevoir le prix d’honneur Donostia lors du festival du Film de Saint-Sébastien, fin septembre. «En plus de son talent artistique et de son style visuel reconnaissable – sa personnalité transpire depuis la direction artistique jusqu’à la bande originale –, le cinéma de Pedro Almodóvar se détache par son écriture des personnages féminins, la direction des acteurs, l’audace dans l’approche des thèmes comme l’univers LGBTQI+», affirment les organisateurs du grand rendez-vous cinématographique espagnol.

Ce que confirme son Lion d’or, une double grande première pour le cinéaste espagnol puisque son nouveau film est le premier en anglais, même s’il précise que «l’esprit est espagnol». Méditation sur la mort et l’amitié, inspiré d’un roman de l’écrivaine américaine Sigrid Nunez (Quel est donc ton tourment?, publié en 2020), le film, situé dans l’État de New York, met en scène Martha, une correspondante de guerre atteinte d’un cancer en phase terminale (Tilda Swinton), et Ingrid, une amie romancière à succès qui accepte de l’accompagner dans ses derniers instants (Julianne Moore). La production confie que «le film aborde la cruauté sans limites des guerres et met en lumière les approches singulières des deux écrivaines pour dépeindre la réalité». Ultime commentaire de Pedro Almodóvar après avoir reçu sa récompense vénitienne : «Mon film parle d’une femme qui agonise dans un monde qui agonise aussi probablement…»

The Room Next Door, de Pedro Almodóvar. Sortie fin 2024.

Parle avec Madrid

Une constante. Dans les 23 films qu’il a réalisés depuis Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón, en 1980, Madrid est présent. Conséquence : la capitale espagnole est un véritable fil rouge dans l’exposition photographique au Centre culturel Conde Duque – la première exposition que lui consacre son pays natal, après les États-Unis et la France. «Madrid, chica Almodóvar», c’est la ville montrée sous tous ses angles, avec plus de 200 clichés tous issus des longs métrages du cinéaste espagnol. La preuve incontestable que Madrid est la grande muse du réalisateur. Des pros du calcul et des pourcentages ont ainsi relevé que, de 6 % pour La piel que habito (2011) à 100 % dans Carne trémula (1997) ou dans Mujeres al borde de un ataque de nervios (1988), l’action a pour décor la cité royale.

Au fil de la déambulation, on y voit les lieux emblématiques du cinéaste au sein de la ville, les endroits filmés – plus de 270 localisations! – et les techniques artistiques qu’il utilise pour magnifier la capitale ibérique et cet amour qu’il lui porte. Né à Calzada de Caltrava, dans la communauté autonome de Castille-La Manche, Almodóvar a découvert Madrid au tout début des années 1970. Précision de Pedro Sánchez Castrejón, commissaire de l’exposition : «Le Madrid dans lequel il débarque n’est pas celui de la Movida mais un Madrid en noir et blanc, qui contraste totalement avec les couleurs vives et totalement fictives de ses films, ces couleurs qui sont pour lui une vengeance contre Franco.» Aujourd’hui encore, à 74 ans, Pedro Almodóvar vit à Madrid; l’Amérique lui a, à de nombreuses reprises, offert des ponts d’or pour qu’il s’y installe – il a toujours refusé même s’il y a tourné en grande partie son nouveau film. «Sans m’en rendre compte, je suis resté, et presque cinquante ans ont passé. À présent, je peux dire qu’aussi bien moi que mes personnages, nous continuerons à vivre ici.» Quand Almodóvar parle avec Madrid…

«Madrid, chica Almodóvar», jusqu’au 20 octobre. Centre culturel Conde Duque – Madrid.

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