Cinquante-cinq ans de carrière au cinéma et au théâtre, 87 films, un Oscar du meilleur acteur… À 84 ans, Al Pacino se raconte dans une autobiographie passionnante, tout en hauts et bas : les souvenirs d’un acteur de légende.
Du haut de ses 84 ans, il dit et écrit : «De mon point de vue, en tout cas, j’ai eu une vie assez chargée.» On regarde le bilan purement comptable de 55 années de carrière : 87 films, trois séries télé, 13 prix (dont un Oscar du meilleur acteur) parmi 49 nominations… Né dans le South Bronx, à New York, dans une famille italienne – «sicilienne», précise-t-il – Alfredo James Pacino, dit Al Pacino, est un des derniers «monstres» du Nouvel Hollywood, mouvement qui a bousculé dans les années 1960-1970 le cinéma états-unien. Donc, le cinéma mondial… Un sujet que l’acteur évoque dans un livre formidable titré Sonny Boy, ce qu’on pourrait simplement traduire par «gamin», le surnom que lui avait donné sa mère en référence à une chanson d’Al Jolson, Américain né en Lituanie (1886-1950) qu’elle appréciait par-dessus tout…
Contrairement à son ami Robert de Niro qui joue le silence sur sa personne et sa vie privée, Al Pacino aime se raconter. Non pas s’épancher sur son cas, mais simplement se raconter. Ce qu’il fait sur près de 400 pages avec cette autobiographie dont on devine qu’elle a été confiée à un enregistreur avant d’être décryptée et écrite… Au fil des quatorze chapitres, promis juré, tout y est. Les hauts comme les bas, la richesse comme la faillite, le bonheur comme le plongeon avec le cocktail alcool-cocaïne.
Présentée de façon linéaire, relatant une vie chronologique, ce livre s’ouvre donc logiquement sur l’enfance. Le Bronx, la vie quotidienne, seul avec une mère qui fait ce qu’elle peut, souffrant de troubles mentaux – quand le père est parti, l’enfant n’avait pas 2 ans… Les séjours chez les grands-parents, entre une grand-mère formidable et un grand-père trop tenté par la bouteille… Les copains, la petite «bande des quatre»… L’enfance, l’adolescence, bref, autant de vies qui vont…
À 25 ans, il est une des personnalités du théâtre d’avant-garde à New York après avoir financé sa formation en effectuant des petits boulots Toute sa vie, le théâtre restera cette passion folle, dévorante… Le cinéma sait également attraper ce jeune comédien dont une enseignante de ses années lycée disait : «Sa présence sur scène est prometteuse…»
Puis, à 30 ans passés, il décroche son premier rôle pour le cinéma en 1971, dans The Panic in Needle Park, de Jerry Schatzberg. Quatre ans plus tard, il a déjà été à l’affiche de quatre films essentiels dans l’histoire du cinéma : The Godfather (1972) et sa suite (1974), signés Francis Ford Coppola, ainsi que Serpico (1973) et Dog Day Afternoon (1975), deux réalisations de Sidney Lumet. Incontournable est alors Pacino, et l’industrie est prête à tout pour mettre son nom sur l’affiche. Ainsi, il rapporte qu’un producteur lui avait alors proposé le rôle du mercenaire sexy et frondeur Han Solo dans le premier film de la saga Star Wars! Après avoir consulté son professeur d’art dramatique, le grand Lee Strasberg, et lu le scénario, il rejette la proposition, concluant qu’il ne peut rien faire avec cette histoire…
«Rien de plus»
Au bonheur et au hasard de la lecture de Sonny Boy, Al Pacino évoque ses amours, sa passion immense et éternelle pour le théâtre et aussi, et surtout, pour William Shakespeare… Sa rencontre avec Marlon Brando, le «parrain» de Coppola, est l’une des formidables anecdotes de l’ouvrage : «En réalité, je ne voulais pas lui parler. Je pensais que ce n’était pas nécessaire. Le simple fait d’y penser me mettait mal à l’aise. Honnêtement, ça me terrifiait. C’était le plus grand acteur de notre époque.» Et des mots échangés sur le plateau de tournage de la scène où Michael Corleone rend visite à son père, Vito, entre la vie et la mort. «Il était assis sur un lit d’hôpital, et moi sur un autre. Et il me posait des questions : d’où je venais? Depuis combien de temps je faisais ce métier? Il mangeait du poulet « alla cacciatore » avec les mains… Ses mains étaient couvertes de sauce rouge, tout comme son visage. Je ne voyais que ça. Peu importe ce qu’il disait, mon esprit était rivé sur ce spectacle. Il parlait – glouglou, glouglou, glouglou – et j’étais complètement hypnotisé…»
Considérant n’avoir rien à cacher, Pacino raconte ses amours (Diane Keaton, Marthe Keller…), ses faillites financières (conséquences de conseillers plus que malveillants), les paradis artificiels, mais passe sous silence Heat (Michael Mann, 1996), ce film dans lequel il croise pendant quelques minutes Robert de Niro.
Il s’interroge aussi sur la paternité, lui qui est devenu père pour la quatrième fois à 82 ans : «C’est ce qui m’a incité à faire en sorte de rester en vie un peu plus longtemps, si c’est possible… C’est extraordinaire, c’est merveilleux, vous savez, d’avoir cette petite personne. Tout ce qu’il fait est réel.» Évoque aussi son expérience de la mort imminente lorsqu’en 2020, il a été victime du Covid-19 et que l’infirmière ne trouvait pas son pouls : «Comme le dit Hamlet : « Être ou ne pas être. Cette région inexplorée, d’où nul voyageur ne revient. » Et il dit deux mots : « Rien de plus. » C’était ce rien de plus. Tu n’es plus là.» Et d’affirmer : «Qui parle de triompher? Ce qui compte, c’est de survivre», avant de s’adresser à sa mère, par-delà les cieux : «Hé, M’man, tu as vu ce qui m’est arrivé?»
Sonny Boy, d’Al Pacino. Seuil.