Le photographe autrichien Alfred Seiland revient au MNHA avec «Iran Between Times», une exposition qui fait le lien entre la riche histoire du pays et la complexité de ses enjeux actuels.
Alfred Seiland fait son retour au musée national d’Histoire et d’Art (MNHA), sept ans après son immense «Imperium Romanum», exposition qui portait un regard, à cheval entre l’Antiquité et l’époque contemporaine, sur les sites emblématiques de l’Empire romain et ce qu’il en reste. Avec «Iran Between Times», le photographe autrichien a repris la route et, depuis 2017, réalise des clichés aux quatre coins de la république islamique. Soixante d’entre eux resteront exposés au MNHA jusqu’au 11 septembre 2022, formant une splendide exposition qui reprend l’idée de fond de son travail sur l’Empire romain, à savoir l’exploration du contraste entre la richesse du passé et la vie quotidienne d’aujourd’hui.
Si le musée s’intéresse à l’Iran, ce n’est pas uniquement par amitié pour Alfred Seiland : l’idée de l’exposition remonte, en réalité, à 2019. «Juste avant que le covid ne prenne toute la place dans l’actualité internationale, on parlait beaucoup de l’Iran», indique le directeur du MNHA, Michel Polfer, faisant notamment référence au retrait des États-Unis de l’accord de Vienne au printemps 2018, qui a fortement ravivé les tensions entre l’Iran et l’Occident et placé l’économie iranienne sous le coup de lourdes sanctions.
Aujourd’hui, l’Iran est en proie au conservatisme et à la corruption, connaît une inflation et un taux de chômage sans précédent et est, de tous les pays du golfe Persique et du golfe d’Oman, celui qui est le plus touché par la pandémie de covid-19. Alfred Seiland a réalisé ses clichés avant le début de la pandémie, mais l’état actuel du pays permet d’aborder différemment son travail. Michel Polfer : «Les gens ont généralement une image de l’Iran qui oscille entre l’Empire perse et Khomeini, entre les Mille et Une Nuits et la puissance atomique de l’actuelle République islamique. Cette exposition réfléchit à ces idées reçues et propose de découvrir le pays à travers le regard d’Alfred Seiland.»
Au deuxième étage du MNHA, soixante photos sont donc regroupées dans trois espaces d’exposition. À l’intérieur de la première salle, peu de traces de présence humaine : Alfred Seiland photographie surtout des paysages. C’est un Iran dépouillé presque totalement de ses habitants, qui offre au visiteur une imagerie presque rêvée, aux accents archéologiques, du pays. «C’est mon lien entre cette exposition et « Imperium Romanum »», glisse le photographe.
En Iran, les intentions politiques sont sous-jacentes à tout projet que l’on y entreprend
Avant de développer : «Mon travail sur l’Empire romain est en fait la raison pour laquelle je me suis rendu, en 2017, en Iran, où l’on trouve un patrimoine romain. Cela est dû au fait qu’au IIIe siècle, l’Empire romain a perdu une bataille contre les Perses, en Turquie. Deux empereurs et 70 000 soldats romains ont été faits prisonniers après la défaite et ils construiront des ponts, des aqueducs, des routes… et des villes entières!»
Alfred Seiland photographie par exemple le site archéologique de Naqsh-e Rostam, à quatre kilomètres au nord de Persépolis, où un célèbre relief sculpté dans la pierre représente le roi Chapour Ier triomphant de l’empereur Valérien. «Il y avait un grand respect entre les deux empires, précise Alfred Seiland, mais ce respect pouvait aussi servir la propagande.» Le lien avec le présent est fait quelques mètres plus loin, dans un cliché où l’on aperçoit, au fond, des armatures de tentes au milieu de la plaine de Persépolis.
Celles-ci sont les vestiges d’une réception fastueuse donnée en 1971 par le Chah pour célébrer les 2 500 ans de la monarchie iranienne, où 69 hommes d’État du monde entier ont été invités. Après la révolution, l’ayatollah Khomeini, qui avait désigné les participants à cette fête comme «ennemis de l’islam», a «décidé de garder intactes les armatures comme démonstration de ce qui était mauvais pour la République islamique», indique l’artiste.
Parmi les photographies qu’Alfred Seiland juge les plus «symboliques», retenons la poésie bizarre qui entoure le cliché d’un but en plein désert et sa balle de football en pierre. «Le football est un sujet délicat en Iran», qui a pourtant l’une des équipes les plus titrées d’Asie et dont beaucoup de joueurs évoluent à l’étranger. «Le foot féminin est pratiquement interdit et le régime voit aussi d’un très mauvais œil le foot masculin. En fait, il tente au maximum de limiter les rassemblements sportifs et les rassemblements de masse.»
Dans la dernière salle, une vue de Téhéran depuis le sommet de la tour Milad – le plus haut bâtiment du pays – laisse voir deux indications destinées aux touristes : sur un panneau vert est indiquée la direction d’un important site religieux; sur un panneau rouge, on indique la direction du stade. «Quand le ministre des Affaires étrangères iranien a vu cette photo, raconte Alfred Seiland, il voulait en faire des cartes postales qu’il aurait offertes à ses homologues européens, car, selon lui, elle représentait le point de vue que l’Occident avait sur son pays.»
Toujours saisissantes de beauté, les photos de l’exposition, paysages, portraits ou scènes de rue, racontent beaucoup de choses de l’Iran d’hier et d’aujourd’hui. Chaque image a une longue histoire, à découvrir dans la brochure explicative mise en libre-service à l’entrée de l’exposition (aucune inscription sur les murs autre que le titre de la photo), qui a souvent rapport avec la situation actuelle du pays.
Pourtant, Alfred Seiland se défend de faire de la photo militante ou politique : «Si l’aspect politique a plus d’importance que dans mon projet sur l’Empire romain, c’est parce qu’en Iran, les intentions politiques sont sous-jacentes à tout projet que l’on y entreprend.» La preuve avec son tout premier voyage, en 2017 : «Je suis arrivé avec un énorme appareil photo argentique qui a attiré beaucoup d’attention. Après avoir reçu un permis, j’ai pu photographier les sites que je souhaitais. Mais lors de mes voyages suivants, sur la base des difficultés rencontrées la première fois et avec le durcissement des positions occidentales, il était clair que je n’allais plus obtenir de permis. Alors, pour la toute première fois, j’ai utilisé un appareil photo numérique, qui passe plus inaperçu, mais qui demandait des prises de photo plus spontanées.»
L’artiste n’en a pas fini avec l’Iran. «Iran Between Times» est un «work in progress» qu’il espère enrichir avant la parution du livre du même nom, en particulier en ce qui concerne l’aspect religieux du pays, qui apparaît en filigrane dans beaucoup de clichés, mais auquel il souhaite dédier tout un voyage. Mais Alfred Seiland devra continuer à se mesurer à «la grande méfiance du régime envers les photographes» et dont «les interprétations erronées peuvent avoir de grandes conséquences». L’artiste, interdit d’entrée sur le territoire iranien pendant deux ans pour ces mêmes raisons, conclut : «Si vous voulez connaître la version « officielle » de mon travail, le site du ministère iranien de la Culture propose une grille de lecture autorisée.»
Jusqu’au 11 septembre 2022.
MNHA – Luxembourg.
Valentin Maniglia